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ce pays est loin de l’esprit public qui devrait l’animer. L’aristocratie y règne ; les nobles y ont encore du crédit ; les prêtres y ont beaucoup d’influence ; les préjugés religieux y règnent dans toute leur force. Les habitans s’observent beaucoup, il est difficile de les pénétrer et je crois qu’il est nécessaire d’employer tous les moyens que la politique d’un peuple libre peut autoriser, pour arracher le bandeau qui couvre les yeux des habitans de ce pays[1]. »

Parmi ces moyens « autorisés par la politique d’un peuple libre, » il en était un sur lequel la citoyenne Montansier faisait grand fond et sur lequel elle appuie avec insistance : « Dans l’accord que j’ai fait avec les directeurs, mandait-elle, je l’ai prolongé jusques et y compris le jour de Pâques, regardant comme très important de jouer la semaine sainte et de porter ainsi le premier coup aux abus religieux dont le pays est infecté[2]. »


Les Belges cependant commençaient à s’étonner un peu de la conduite de ces Français qui s’étaient présentés à eux et qu’ils avaient véritablement accueillis en libérateurs. Un ancien gouverneur des Pays-Bas, le prince Charles de Lorraine, avait laissé dans Bruxelles un souvenir impérissable de reconnaissance pour son habile et paternelle administration : une statue lui avait été élevée, le peuple la révérait ; les Français l’abattirent[3]. Plus de tyrans, même en bronze ! C’était le mot d’ordre ; mais, pendant ce temps, les maîtres du jour, se sentant sans doute l’étoffe de remplacer les rois, prétendaient s’offrir toutes les jouissances dont ils avaient ouï dire que s’enivraient ces favoris de la naissance et du sort.

Au nom de la Liberté, au nom de l’Égalité, au nom du peuple, Delacroix et Danton, les commissaires envoyés par la Convention, faisaient gaiement du pays leur chose et leur proie. « Toujours à table ou avec des filles[4], » « uniquement occupés de leurs plaisirs[5], » grossiers, insolens, ridicules, c’est en maîtres qu’ils se posaient

  1. Ibid., Lettre du 4 janvier.
  2. Lettre du 8 janvier.
  3. Un des agens du pouvoir exécutif, un peu plus éclairé que ses collègues, le citoyen Deshacquets, écrivait à ce sujet : «… Organisons ici un pouvoir qui nous procure des hommes et de l’argent, mais empêchons les maladroits et les malveillans d’éloigner la confiance des Belges. Ils attachaient un grand prix à la statue du prince Charles, ne pouvait-on la laisser subsister sans blesser les principes ?… » (Aff. étrang. Pays-Bas, vol. 184, fol. 145.)
  4. Lettre de Foliot à Carra, Annales patriotiques, 4 avril ; et Patriote Français, 6 avril 1793.
  5. Merlin, cité par A. Chuquet, Jemappes.