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la citoyenne Montansier jouerait à Bruxelles. » Parmi les tragédies, dominaient les sujets tirés de l’histoire romaine, dont les héros servaient alors de modèle aux républicains nouveaux ; c’étaient : Caïus Gracchus, la Mort de César, Mucius Scœvola, Brutus, Marius à Cirthe ; puis des pièces propres à exciter une sainte horreur des tyrans et des prêtres, leurs suppôts : Guillaume Tell, Charles IX, La Ligue des tyrans, les Victimes cloîtrées. Les comédies étaient, avec soin, choisies presque toutes parmi les œuvres les plus délicates de deux chauds partisans des idées nouvelles, de deux valeureux champions de la Liberté et de l’Égalité : les citoyens Fabre d’Églantine et Collot d’Herbois. Quant aux pièces à grand spectacle, accompagnées de chant et d’orchestre, c’étaient : l’Hymne des Marseillais, le Départ des Volontaires, les Héroïnes de Saint-Amand, le Siège de Lille, l’Hymne de la Liberté et la Carmagnole à Chambéry.

Un tel programme était trop bien choisi, promettait des résultats trop importans en Belgique, dans l’Europe entière, peut-être, pour que des ministres avisés n’y prêtassent pas la plus extrême attention. Le jour même où lui parvint la requête de la citoyenne Montansier, le ministre des Affaires étrangères, le citoyen Lebrun-Tondu, ne voulant point mettre le moindre retard en une affaire de si haute importance, lui répondit, courrier par courrier : « J’ai reçu, citoyenne, la lettre que vous m’avez écrite hier. Je ne puis qu’applaudir au louable dessein de propager dans la Belgique, avec tous les moyens puissans qui sont dans vos mains, les principes et l’amour de la Liberté et de l’Égalité, en même temps que le succès de nos armes affranchit ses habitans de la servitude et de l’esclavage, sous lesquels ils étaient courbés depuis si longtemps…

« Je mettrai votre demande sous les yeux du Conseil, ce soir, et je ne doute pas de le trouver dans les mêmes dispositions que moi…

« Vous vous trouverez en bonne compagnie à Bruxelles, car je suis instruit que nos meilleurs artistes de l’Opéra et d’autres théâtres de la capitale se proposent d’y faire une apparition et de concourir avec vous à instruire les Belges dans le grand art de la Liberté, par les charmes et la gaieté de leurs talens[1]. »

L’homme capable d’écrire ainsi et de diriger, d’une façon si haute et si judicieuse, la diplomatie française, n’était pas un nouveau venu dans la carrière ; il avait de la tradition : d’abord abbé, puis soldat, imprimeur, journaliste, venu à Paris en 1791 à la tête d’une

  1. Archives nationales F1° 11, dossier 5, lettre du 21 nov. 1792.