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que fut donnée la parole et « la plaine ne fut pas ouverte » au Désespoir de Jocrisse. Au lieu de jouer la comédie, Truffaut, le petit tambour, battit la charge ; la musique du bataillon de la Deule enleva sa troupe au combat ; et c’est contre l’ennemi que la 1re batterie brûla sa poudre : les Autrichiens furent délogés d’Anderlecht, et le lendemain ; dès l’aube, de cette position élevée qu’ils avaient occupée à leur place, les soldats français purent, de loin, apercevoir devant eux les murs de la vieille cité brabançonne « avec ses remparts plantés de vieux arbres et couronnés de moulins, la masse lourde et noire de la porte de Hal, les tours de Sainte-Gudule, le clocher de l’hôtel de ville dont la pointe supportait un colossal Saint-Michel terrassant le dragon[1]. »

Dans Bruxelles, cependant, les uns tremblaient, d’autres étaient transportés d’allégresse. Dès le lendemain de Jemmapes, affolés, les représentans du gouvernement autrichien avaient, dans un hâtif désordre, fait leurs préparatifs de départ ; précipitamment, on chargeait les effets de l’archiduchesse sur des bateaux qui, par le canal, devaient les transporter en Hollande[2]. Puis, dans la nuit du 8 au 9 novembre, l’archiduchesse quittait elle-même la ville, accompagnée de M. de Metternich et de tous les membres du gouvernement.

La population, en revanche, ne dissimulait pas sa joie ; se portant en foule sur les remparts, elle accablait de huées les corps autrichiens en retraite qui défilaient sous les murs et se réjouissait d’avance de l’entrée prochaine de leurs vainqueurs : « On se demande ici, écrit un témoin, dans combien d’heures on sera Français[3]. »

Quand enfin Dumouriez entra le 14 dans Bruxelles, c’est au son des cloches sonnant à pleine volée, au bruit du canon des remparts, aux acclamations du peuple qu’il y fut accueilli ; le magistrat qui vint à sa rencontre rendit hommage en style pompeux « au héros qu’amenaient la Victoire et la Liberté ; » et le général, touché jusqu’au fond du cœur de tant d’hommages et d’enthousiasme, écrivait au ministre de la Guerre : « J’ai été reçu comme le libérateur de la nation. »


Pendant qu’à Bruxelles éclataient de telles réjouissances de l’arrivée des Français, à Paris commençaient à s’agiter ceux qui pensaient que la gloire militaire doit servir à quelque chose, et que c’est agir en dupe que de ne point tirer parti d’une conquête.

  1. A. Chuquet, Jemappes, p. 111.
  2. Affaires étrangères. Pays-Bas, vol. 183, dépêche du 7 novembre 1792.
  3. Ibid., Dépêches des 8 et 14 novembre.