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littéraires que les missionnaires ont dû apprendre, comme celles des Hindous ou des Chinois, mais lorsqu’ils arrivèrent chez des peuples non civilisés, il leur fallut démêler à grand’peine le chaos des sons étranges qui frappaient leur oreille, en deviner le sens et reconnaître la syntaxe des phrases, puis en fixer les sons par l’écriture et formuler les règles de la grammaire. C’est ainsi que jadis Ulphilas, l’apôtre des Goths, et Cyrille, l’apôtre des Slaves, ont composé les alphabets gothique et vieux slavon. Un travail d’invention analogue s’est imposé aux évangélistes des races Polynésiennes, des Peaux-Rouges et des nègres d’Afrique ou de Malaisie, qui n’avaient point de signes d’écriture. Ils ont d’abord essayé de transcrire les mots de la langue indigène en caractères latins ou arabes ; mais, comme il y avait dans plusieurs de ces idiomes des sons qui n’existent ni en des langues européennes ni en arabe, il a fallu soit inventer des signes nouveaux en modifiant les lettres romaines, soit créer des caractères syllabiques. Ainsi le zèle de ces modernes apôtres a obtenu de la Providence, comme un renouvellement du miracle de la Pentecôte, le don des langues. Mais, dira-t-on, le latin, qui est obligatoire pour tout prêtre catholique romain, ne pouvait-il suffire et servir de langue universelle ? Oui, sans doute, il est suffisant pour la liturgie ; mais, il reste le catéchisme, et c’est l’essentiel dans l’œuvre missionnaire. Il faut traduire le Credo, le Pater, le Décalogue aux indigènes, pour les leur expliquer et faire apprendre par cœur. D’ailleurs, outre l’instruction religieuse il y a encore l’éducation morale et professionnelle, c’est-à-dire l’œuvre civilisatrice, pour laquelle on ne peut se passer de la langue vulgaire.

L’Asie fut le berceau des races indo-européennes et a été de tout temps un grand laboratoire d’idiomes. Les quatre grandes familles linguistiques, qui se partagent ce continent : la chinoise, la touranienne, l’aryenne et la sémitique, ont exercé tour à tour la patience et la sagacité des missionnaires.

Commençons par la première qui, à cause de son type monosyllabique, est de beaucoup la plus difficile et sans doute la plus ancienne. Les Pères Jésuites qui, depuis le XVIe siècle, formèrent à Pékin l’avant-garde des missions catholiques, ont naturellement appris le chinois ; le Père Ricci et ses successeurs, astronomes en chef, s’entretenaient avec l’Empereur et ses ministres en dialecte mandarin. Ils ont établi à Tou-se-Wei une imprimerie orientale, d’où sont sortis le dictionnaire de Perny et le Cursus