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vente courante. Qui prétend à la finesse doit, non seulement payer cher, mais attendre avec patience que les gros consommateurs soient servis.


V

« Tout périt en ce monde, dit un proverbe persan, excepté le visage céleste. » Cependant les formes orientales semblent immortelles et, si notre ingérence européenne tend à détériorer la substance des tapis, elle en respecte les dessins et les réveille même pieusement de leur sommeil. Où sont nés ces animaux fantastiques, ces génies, ces dragons ou ces phénix, cet « arbre de la vie » et ces noyaux de fleurs caliciformes, ornés d’une couronne de feuilles flamboyantes, encadrantes ou enchevêtrées ? D’où nous viennent ces symboles figuratifs, ces bordures aux ondulations de vagues et de nuages, ces rivières serpentines et ces chevrons muraux, que nous retrouvons émaillés sur les briques de Suse, sculptés sur les marbres de Ninive, que connaissaient Homère et les Homérides, et qui se transmettent sur les tapis tissés de générations en générations ?

Sont-ils issus de l’imagination des Aryens ou des Sémites, d’Iran ou de Touran ? Se rattachent-ils à une source commune, au tatouage rituel et mythologique des premiers hommes ? — Car le tatouage est le plus vieux dessin pour costume. — Qu’ont-ils signifié à l’origine et quel sens ont-ils pris au cours de leur développement ? Sont-ce là des déformations hiéroglyphiques, exagérées encore par la rudesse du tracé ? Les types que nous possédons dans les musées sont trop peu nombreux et surtout trop récens pour le dire.

Les Orientaux ont mis leur âme dans leur art ; ils ne voient pas les choses des mêmes yeux que nous. Ils ont d’autres goûts : mieux que nous, ils savent aimer les fleurs. L’Hindou les prise en guise de tabac pour aspirer plus violemment leur parfum ; le Persan s’assoit sur son tapis déplié devant la fleur de son rêve, lui offre sa prière, chante une ode de Hafiz, puis, au coucher du soleil, roule son tapis sous son bras et rentre heureux en silence. Il y revient le lendemain jusqu’à ce que la fleur se fane et meure. La plupart des inscriptions persanes, tissées dans les tapis, se rapportent à des fleurs ; « La rosée a semé des perles dans le calice de la tulipe, » dit celle-là, et celle-ci dit : « La violette,