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Qu’il s’exécute à Paris, dans l’atelier national de la Savonnerie, ou à Aubusson, ou dans les villages perdus de l’Afghanistan, de Boukhara et du Caucase, la structure du tapis à la main est identique. Il consiste en une suite de nœuds coulans, faits d’une double mèche de laine sur les fils de la chaîne verticale du métier. Il y a peu d’années encore, le droit de se livrer à cette fabrication en Asie Mineure n’était concédé qu’à la population musulmane. Les Grecs et les Arméniens ne l’obtinrent qu’en 1865, après de grands combats avec les teinturiers turcs qui fournissaient la matière première.

Ouschak, l’un des centres où de 8 à 9 000 ouvrières sont occupées à la confection du tapis lourd, dit « de Smyrne, » tire sa laine des hauts plateaux, déserts et pauvres, de Phrygie. L’élevage du bétail y est la base du revenu et de l’alimentation des Kurdes, qui envoient chaque printemps vendre la tonte de leurs brebis au marché central de Siwrihassar, au pied du Gunech-Dagh. Cette laine, comme toutes celles de l’Orient, rude et dure, moins fine que les nôtres, a aussi le mérite de ne point se tasser, se feutrer sous le pied. Celle qui ne sert pas aux tapis va en Amérique se transformer en draps et en couvertures. L’autre est soumise, dans les eaux chaudes provenant de montagnes volcaniques des environs de Koula, à un lavage soigné où elle perd environ moitié de son poids. Cardée ensuite et filée par les méthodes les plus rudimentaires, — le gouvernement, devant les protestations des indigènes, a refusé de consentira l’établissement de filatures mécaniques, — elle est livrée aux négocians qui la fournissent aux tisseuses.

Celles-ci fichent en terre deux pieux, distans l’un de l’autre de la longueur du futur tapis, tendent sur eux leurs fils de chaîne qu’elles fixent à chaque bout sur un cordon qui maintient l’écartement, trempent les deux extrémités, qui représenteront plus tard les franges, dans du rouge ou dans du vert et étalent la chaîne, ainsi ourdie, sur les rouleaux, — les « ensouples, » — du métier charpenté en bois brut. Chaque fois que l’on a noué deux lignes de points, on frappe avec le peigne, — peigne de bois en Turquie, de fer en Perse, — pour unir la nouvelle rangée de nœuds à la précédente ; on égalise la surface avec des ciseaux ; puis on passe, en travers de la chaîne, deux à trois « duites » dans les tapis de belle qualité et, dans les tapis communs, jusqu’à six « duites ; » c’est-à-dire des fils de trame qui