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en soie, dont l’emploi, depuis quelques années, a même beaucoup augmenté. La valeur de cette soie, — 50 francs le kilo, — est six ou sept fois plus grande que celle de la laine, cotée de 7 à 10 francs et limitée aux ombres et aux demi-teintes. Mais ici le prix de la matière première est de petite conséquence ; sa qualité seule importe. La manufacture des Gobelins, qui ne consomme pas plus de 250 kilos de laine par an, eut, pendant soixante-quinze ans, un fournisseur qui lui livrait des écheveaux d’une égalité parfaite et d’une qualité supérieure, provenant de toisons champenoises. Elle essaya plus tard la laine des bergeries de Rambouillet, qui ne lui donna pas satisfaction.

Les filés actuels, originaires de l’Australie et de l’Argentine, beaucoup meilleur marché que les anciens, sont composés d’un mélange de fibres d’origines différentes, par suite plus ou moins sensibles à la teinture et sortant du bain inégalement colorés. Au lieu d’être brillante et lumineuse comme autrefois et de conserver, après la teinture, son aspect soyeux, il paraît que la laine moderne du commerce est terne et d’une couleur plombée.

Mais la question dont on se préoccupe le plus aux Gobelins, — où l’administrateur, cet artiste érudit qu’est M. Guiffrey, poursuit avec une admirable ténacité la restauration de la technique ancienne, — la partie vitale pour la tapisserie, c’est le choix des modèles. Cette muraille tissée ne doit pas être une fresque, moins encore un tableau. Susceptible d’être plissée comme l’étoffe, dont elle possède le grain et l’épaisseur meublante, elle présente, même tendue, un aspect gondolé, — « grippé, » — qui sied aux jeux de la lumière sur ses surfaces ouvragées. Elle n’a point pour office de créer des précisions ; elle doit réaliser des effets, traducteurs plutôt que reproducteurs du coloris des cartons. L’art de ces effets a toujours été puissant, malgré la sobriété des moyens.

Si l’on examine de près les plus célèbres tentures des XVIe et XVIIe siècles, dans la composition desquelles se rencontre une richesse inouïe de détails, on est frappé du petit nombre de couleurs différentes auxquelles leurs auteurs ont eu recours : trois rouges à peine, des bleus et des jaunes dans une gamme très réduite, et souvent de l’or et de l’argent. Les effets de coloration sont produits par des mariages ingénieux de fils, disposés de façon à donner la sensation de plus de tons qu’il n’en existe franchement. Los ouvriers de ces époques avaient perfectionné, par leur seul savoir-faire, par leur initiation aux convenances de l’art, qu’ils