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obtienne plus d’unité, pour le meuble surtout, en groupant les métiers sous le même toit. Les marchandages laissent aux ouvriers, me dit-on, un salaire moyen de 300 francs par mois ; mais la production n’augmente pas, au contraire.

Qu’elle soit de « haute » ou de « basse lice, » c’est-à-dire que le métier soit posé sur le sol, à plat, devant l’ouvrier, ou se dresse vertical en face de lui, toujours la tapisserie s’exécute en représentant le dessin en travers. En d’autres termes, le tapissier n’est pas libre, comme le peintre, de commencer son tableau par le haut ou par le bas ; il lui faut tisser en même temps le haut et le bas, les ciels et les terrains, y compris les personnages ou les motifs intermédiaires, et conduire sa trame point par point, depuis ce qui sera la droite, jusqu’à ce qui sera la gauche de la tenture remise debout, après son achèvement. Ce mode de travail, nécessaire pour que les ombres ou « hachures » s’offrent horizontales au regard du spectateur, complique fort le bon rendu des figures : il est particulièrement difficile de « mettre les yeux ensemble, » de les harmoniser, même en les plaçant sur le même fil de chaîne.

Les plus belles tapisseries ayant été faites aux Gobelins sur le métier vertical, ou de haute lice, celui-ci a plus de prestige ; mais il n’a sur la basse lice, seule en usage à Beauvais et à Aubusson, aucune sorte de supériorité intrinsèque. Il est matériellement impossible de distinguer, les unes des autres, les œuvres fabriquées de l’une ou l’autre manière. Il semble seulement que la basse lice soit plus économique, parce qu’elle permet une plus grande rapidité de travail.

En haute lice, le tapissier a son modèle derrière lui ; en basse lice, il le tend sous son métier et l’aperçoit à travers les interstices des fils de chaîne, sur lesquels, pour se guider, il trace au trait noir les contours du dessin qu’il doit suivre. Ces fils, en coton cordonné et retors, capables de supporter isolément le poids d’un kilogramme et maintenus rigides sur les rouleaux, communiquent, par de petits nœuds, avec des pédales que l’ouvrier manœuvre pour donner passage à la navette. Comme il lui faut changer constamment de couleur et sans cesse couper sa laine, il travaille à l’envers et ne peut juger de l’effet déjà obtenu qu’en retournant de temps à autre son métier, qui bascule sur un axe pivotant.

Les clairs et les « rehauts, » dans beaucoup de tapisseries, sont