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valeur graduée ; lorsque, dans les seuls environs d’Oudenarde, 12 ou 14 000 ouvriers vivaient de la tapisserie, on essayait bien de tricher un peu sur les problèmes du modelé, en nuançant les figures des personnages au moyen de substances liquides. Un édit de 1525 avait interdit cette pratique aux fabricans de Bruxelles ; et ces fallacieux « repeints » devaient être de tout temps assez usités, car nous voyons la même prohibition renouvelée, dès le moyen âge, en différens pays. De même il est souvent spécifié, dans les commandes faites aux tapissiers, que ceux-ci ne devront pas « employer de peinture pour les carnations et les visages. »

On faisait alors aux Pays-Bas des verdures « étoffées d’animaux » pour trente-huit francs de notre monnaie le mètre carré, — 18 sous 2 gros l’aune d’Enghien (1524). — A Paris, on en livra plus tard à 4 écus d’or l’aune française, — c’est-à-dire à 55 francs de nos jours le mètre carré, — pour la décoration de la salle des États de Bretagne, et le cardinal de Bourbon obtenait encore à meilleur marché, — 110 sous tournois l’aune, soit 40 francs actuels, — des tapisseries qu’il destinait à l’abbaye de Saint-Denis.

Ces derniers chiffres, rapprochés du salaire moyen des ouvriers à la même époque, prouvent que les tentures auxquelles ils se rapportent devaient être des plus communes. Pour arriver à les céder à ces prix de 55 et 40 francs de nos jours, qui, intrinsèquement, à l’époque, étaient trois fois moindres, tout en payant leur laine et en se réservant quelque profit, il fallait que les patrons y employassent des femmes et des apprentis à peine rétribués. Lorsque l’on exigeait un travail plus soigné, et de la soie dans les parties claires, le mètre carré montait à 148 francs, — 12 écus sols l’aune carrée, — comme on le voit en 1584, pour les tapisseries destinées à l’église Saint-Merry, dont le contrat de fabrication existe encore au musée Carnavalet.

Il y avait des « tapissiers » à tous prix : François Ier allouait 160 et 240 francs de notre monnaie, par mois, — 10 à 15 livres, — à ceux qu’il avait fait venir à Fontainebleau. L’archiduc-roi d’Espagne donnait aux siens, à Arras, 7 francs par jour, en 1501, et, cent ans plus tard, à, Bruxelles, des « réparateurs » à la journée sont payés 10 francs d’aujourd’hui. C’étaient des artistes ; tandis que la vicomtesse de Bohan en entretenait au XVe siècle qui, nourris sans doute dans son château, ne lui revenaient pas à 2 francs par jour. Sous Louis XV, il s’en trouve, dans le Midi