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interrompue pendant plus d’un an. Du 16 juillet 1762 au 14 octobre 1763, nous ne voyons pas que l’enfant ait écrit une seule note, alors que nous possédons, au contraire, toute une série de morceaux qu’il a composés dans les six mois précédens, de janvier à juillet 1762 : quatre menuets, un menuet avec trio, un court allegro en si bémol majeur. Œuvres bien curieuses, en vérité, et bien touchantes, ces morceaux où, pour la première fois, s’entr’ouvre à nous le cœur du poète de la Flûte enchantée ! J’ai dit plus haut à quel point le menuet de janvier 1762, fait exactement sur le modèle des secs et inutiles menuets du père, en différait déjà par la fraîcheur, l’expression, la grâce « chantante » de la mélodie. Mais ce n’est pas tout ; on découvre encore, dans ce menuet, de même que dans la plupart des pièces qui le suivent, un autre des traits les plus originaux du génie de Mozart : son habileté à unir entre elles toutes les phrases d’un morceau, à les faire directement sortir l’une de l’autre. Chacun de ces menuets de 1762 n’est déjà tout entier qu’un même « discours, » le développement suivi et varié d’une même pensée. Au lieu de juxtaposer plusieurs idées distinctes, et conçues d’abord séparément, — ainsi que faisaient son père et jusqu’aux plus grands musiciens du temps, — Mozart, dès le début, s’est évidemment représenté toute œuvre musicale comme un organisme ayant une vie propre, comme un corps dont tous les membres devaient être formés de la même chair, arrosés du même sang. C’est ce principe artistique qui, renforcé et approfondi avec les années, l’a plus tard amené non seulement à marquer d’une empreinte commune tous les morceaux d’une sonate, d’une symphonie, ou d’un opéra, mais à concevoir d’ensemble des séries entières : si bien que ses six Quatuors à Haydn, notamment, ou ses trois symphonies de 1788, forment en somme moins des collections d’œuvres différentes qu’un unique quatuor, une symphonie unique, où chacun des morceaux apporte un élément particulier à l’harmonieuse et vivante unité totale. Et déjà cet instinct opère avec tant de force, dans les premiers essais musicaux du petit Wolfgang, que, pour citer un exemple au hasard, le menuet et le trio du menuet avec trio en sol majeur ne sont, d’un bout à l’autre, que la répétition d’un seul motif rythmique en des tons différens.

Un besoin profond d’unité, d’ordre, d’équilibre, et, d’autre part, le don du chant, de ce « jeu chantant » que demandait