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« miraculeux » de la destinée de son fils était que, avec les dons qu’il avait reçus en naissant, il eût trouvé près de lui, pour l’instruire, un professeur comme celui qu’il eut. Et cependant la chose est certaine. Dans ce qui fait aujourd’hui pour nous la profonde et impérissable beauté de l’œuvre de Mozart, une grande part revient à l’éducation paternelle : à l’éducation, ou plutôt à la discipline, à la façon dont son père a sans cesse contenu, réglé, dirigé son génie. Un homme fort intelligent, et qui a vécu longtemps dans la familiarité des Mozart, le trompette Schachtner, nous affirme que, si Mozart n’avait pas eu « l’incomparable éducation que lui ont donnée ses parens, il aurait risqué de devenir le pire des mauvais sujets, tant il avait l’âme ardente, impressionnable, toujours prête à s’abandonner sans réserve à tout ce qui l’attirait. » Mais combien cette « incomparable éducation » lui a été plus utile encore au point de vue de son art ! Combien, sans elle, — ayant, ainsi qu’il les avait, la tête toujours pleine de musique et le cœur de passion, — Mozart aurait risqué de devenir un génial improvisateur, comme son compatriote Wœlffl, comme François Schubert, un de ces hommes qui laissent, après eux, un souvenir charmant et une œuvre morte ! La discipline de son père l’a sauvé de ce danger. Pendant près de vingt ans (en fait, jusqu’au second départ pour Paris, en 1777), Léopold Mozart n’a pas cessé d’enseigner à son fils la patience, la réflexion, la méfiance de soi-même, toutes les vertus artistiques qu’il avait déjà célébrées dans son École du violon. « L’excès de hâte, y disait-il, c’est la plus grosse faute dans l’étude du violon ; et les maîtres sont enclins à la commettre aussi bien que les élèves. Les premiers, souvent, n’ont pas la patience d’attendre, pour passer à un morceau nouveau, que leur élève ait complètement, appris à jouer le morceau précédent ; ou bien ils se laissent séduire par l’élève, qui croit qu’il aura tout fait quand il sera parvenu, en peu de temps, à gratter sur son instrument une couple de menuets. Et ce sont aussi les parens qui souhaitent de pouvoir entendre bientôt quelques petites danses ainsi massacrées, et qui s’émerveillent alors du bon emploi de leur argent. Mais comme les uns et les autres se trompent en cela ! » Et ailleurs, pour s’excuser d’avoir composé tous ses exercices de triolets dans le seul ton d’ut majeur : « Ne vaut-il pas mieux que d’abord l’élève se rende bien maître d’un seul ton, plutôt que de jouer dans divers tons sans en avoir