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quoi chacun s’empressait d’ajouter qu’ils n’avaient pas leurs pareils pour la verve comique. Hanswurst, Jean Saucisse, le pitre traditionnel des farces viennoises, était, par tradition, un Salzbourgeois. L’entrain, la drôlerie, l’invention imprévue : trois choses où, de tout temps, les Salzbourgeois (comme les Tyroliens en général) avaient excellé. Et il y en avait une quatrième encore où, de l’avis des meilleurs juges, pas une autre population allemande ne les égalait : c’était, — sur le petit terrain d’art qui, seul, leur était accessible, — le sûr et délicat instinct de la beauté. « L’esprit des habitans de Salzbourg, écrivait le fameux esthéticien Schubart, est extraordinairement doué pour la farce. Leurs chansons populaires sont si burlesques et si piquantes qu’on ne peut les entendre sans un rire qui secoue tout le cœur : et, avec cela, presque toujours des mélodies merveilleusement belles. »

Oui, de tout temps, ces compatriotes de Hanswurst avaient uni à leur goguenardise un très vif besoin de beauté. C’est de quoi leur ville, morte depuis cent ans, continue aujourd’hui à nous porter témoignage, dans ses églises, ses palais, ses fontaines, dans tout ce qu’elle a gardé de sa vie passée. Dès le moyen âge et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, tous les styles, en parvenant à Salzbourg, s’étaient atténués, avaient perdu un peu de leur force ou de leur grandeur, mais pour prendre en échange une grâce élégante et fine, une grâce toute locale, qu’on retrouve exactement la même à travers les âges. Car peut-être n’existe-t-il pas de ville où les monumens des diverses époques aient entre eux un air aussi frappant de parenté intime. Chapelles gothiques, — chère petite chapelle de Sainte-Marguerite, comme mon cœur frémit doucement à son souvenir ! — portes et palais de la Renaissance, églises rococo, ce sont toujours de très petites œuvres, trop petites même et d’un art trop facile, mais plus harmonieuses, plus discrètes, en un mot plus jolies, que les modèles étrangers qui les ont inspirées[1] : de façon que le léger chœur gothique de Notre-Dame s’arrange le mieux du monde de son ornementation italienne, et que nul n’est choqué de voir un vieux portail roman sous le porche baroque de l’église Saint-Pierre. Joli, tout à Salzbourg devenait joli, les retables de

  1. Seule fait exception la cathédrale, pesante fantaisie d’un évoque italianisant : et encore est-ce surtout son contraste avec les autres monumens de la ville qui nous la fait paraître énorme et disproportionnée.