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LA JEUNESSE DE MOZART[1]

LES PREMIÈRES LEÇONS (1756-1762)


I. — LES ORIGINES

La jolie ville de Salzbourg était certes, vers l’an de grâce 1756, une des plus « musicantes » qui fussent au monde. Jour et nuit, sur les deux rives de son torrent, et depuis les sommets vénérables de ses trois montagnes jusqu’aux ruelles étroites et sombres qui tournaient entre ses hautes maisons, son air, tiède, mou, toujours saturé d’eau, était également saturé de musique.

Musique dans les églises, dans les quinze églises de la vieille ville et les dix d’au-delà du pont. Pas une journée ne se passait sans que plusieurs au moins de ces belles églises, élégantes et parées comme des salons, célébrassent solennellement quelque office chanté, une neuvaine, des vêpres suivies de litanies, la fête d’un saint patron ou un anniversaire. Celles surtout qui

  1. Des innombrables ouvrages que l’on a écrits depuis cent ans sur Mozart, deux seulement ont une véritable valeur historique : la grande biographie d’Otto Jahn (1856-59, revue et remaniée par M. Deiters en 1892), et le Catalogue chronologique et thématique des œuvres de Mozart, publié en, 1862 par Ludwig Kœchel. Encore ces deux ouvrages eux-mêmes, malgré tout leur mérite, ont-ils de graves défauts qui rendent impossible de se fier pleinement à eux. Le catalogue de Kœchel, patiente et consciencieuse compilation d’un géologue qui évidemment ne savait pas la musique, est si rempli d’erreurs que, sauf pour les œuvres dont la date nous est fournie par Mozart lui-même ou son père, il n’y a peut-être pas une seule œuvre de Mozart qu’il place à sa date véritable. Et quant au livre de Jahn, c’est à coup sûr un monument littéraire d’une force et d’une grandeur incomparables : mais on y devine toujours trop le professeur de philologie, plus attentif à la lettre qu’à l’esprit des sujets traités ; biographie et critique y manquent également de vie, froides, sèches, abstraites, comme dans un manuel ou un dictionnaire. De telle sorte que, ayant entrepris à mon tour d’étudier la formation du génie de Mozart, j’ai dû recourir sans cesse aux sources originales : aux lettres de Mozart et de ses parens, aux partitions, à tous les documens contemporains que j’ai pu trouver. Les collections publiques et privées de Salzbourg, en particulier, m’ont été infiniment précieuses ; à l’exception toutefois du Mozarteum, où une foule de lettres et d’autographes musicaux dorment dans des tiroirs, sans que l’administration se décide soit à les publier elle-même soit à permettre que personne en prenne connaissance. Et je tiens, au contraire, à remercier ici MM. Peter et Haupolter, le directeur et le conservateur du Musée Carolino-Augusteum, pour l’obligeance infinie qu’ils ont mise non seulement à m’ouvrir les trésors de la galerie et des archives confiées à leur soin, mais encore à m’éclairer de leur science personnelle sur le détail de la vie et des mœurs salzbourgeoises au XVIIIe siècle.