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commencé pour lui. Insensiblement, la lecture des Fioretti et de la Légende Dorée, le spectacle des cérémonies catholiques, la fréquentation quotidienne des moines franciscains, tout cela avait achevé de lui révéler la légitimité de l’idéal moral entrevu déjà précédemment à Nuremberg et à Rothenbourg. Au grand « pardon » du 1er août, pendant que la foule des pèlerins se prosternait devant l’autel en chantant des cantiques, il avait remarqué, dans une tribune, un groupe de touristes qui considéraient la scène avec un sourire dédaigneux, s’amusant du grossier fanatisme d’une populace ignorante ; et déjà c’était aux pèlerins, contre ces « intellectuels, » qu’était allée toute sa sympathie. Lui-même, malgré lui, il avait fléchi le genou devant l’autel de la Portioncule. Puis il s’était aussitôt relevé, tout honteux, et était sorti de l’église. « Mais il n’en avait pas moins l’impression d’avoir, lui aussi, reçu quelque chose du pardon de saint François. Une paix miraculeuse était descendue sur lui, il ne savait d’où. Et lorsque, au coucher du soleil, en compagnie de son ami il avait repris le chemin d’Assise, et qu’il avait vu se dresser devant lui les tours et les toits de la haute ville, et les longs arceaux du cloître, et le clocher carré qui surmonte la triple église de Cimabué et de Giotto, il avait clairement senti que, depuis bien des années, jamais il n’avait été aussi heureux qu’il l’avait été ce soir-là. »

Cependant il n’avait pas la foi. Pour vives et profondes que fussent ses impressions catholiques d’Assise, succédant à ses impressions poétiques des vieilles villes allemandes, elles ne parvenaient pas à triompher de son scepticisme. Son imagination était ravie du monde nouveau qui se révélait à lui ; sa raison lui prouvait tous les jours la faiblesse ou l’inanité des doutes aussi bien que des certitudes où il s’était complu jusqu’alors ; mais son cœur, obstinément, refusait de s’ouvrir. C’est en cela que consistait surtout l’intérêt dramatique de son livre : en ce qu’il y décrivait, avec une sympathie manifeste, des hommes et des choses qui, d’autre part, ne lui apparaissaient que comme à travers un voile, et dont on sentait qu’il s’efforçait vainement à se rapprocher. Et un jour, enfin, sa constante réflexion sur lui-même l’avait conduit à se rendre compte de l’obstacle véritable qui le séparait de la foi chrétienne. Il venait d’entendre des récits de miracles, de miracles récens, certains, dûment attestés par des témoins dignes de toute confiance : il songeait à la misère des objections opposées à la réalité de ces miracles par de prétendus savans ; il songeait au caractère inexplicable, mystérieux, des faits en apparence les plus simples de la vie quotidienne. De toutes parts, il découvrait