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refrain ; ce refrain au charme mystérieux et enfantin, soit qu’il rappelle les balbutiemens de la chanson populaire ou soit qu’il reproduise les subtils enfantillages des rimeurs de Cour. Le sonnet est de caractère plus viril. A l’avantage de la symétrie, en laquelle réside un attrait inexplicable mais certain, il joint celui de la variété : les tercets répondent aux quatrains, mais ils en diffèrent par la coupe et par l’agencement des rimes. Et il y a dans le sonnet un élément qui lui est particulier : c’est la nature de son dernier vers. C’est ici la caractéristique du genre. Ce dernier vers n’est pas la pointe de l’épigramme, le « mot de la fin » pour lequel toute la pièce a été faite ; au contraire, toutes les fois que les treize premiers vers n’ont été mis que pour amener le quatorzième, le sonnet perd sa valeur plastique. Mais le sens du sonnet se ramasse dans ce dernier vers, qui en augmente la force et en prolonge l’harmonie. C’est pourquoi il n’est si grand sujet qui ne puisse tenir dans ce cadre limité mais non pas étroit. Encore est-il possible, en reliant par le sens une série de sonnets, d’en faire une sorte d’ouvrage qui se compose et se continue. Le poète est d’ailleurs obligé, par l’effet de la concision, de faire subir à la pensée un travail de condensation, à la forme un travail d’achèvement : chevilles, termes impropres, vers faibles sont ici plus intolérables que partout ailleurs. Il s’y soumet d’autant plus volontiers qu’il y faut un effort intense plutôt que prolongé et vigoureux plutôt que persévérant. Telle est la beauté propre du sonnet. Sûrement notre littérature, en l’empruntant à l’étranger, réalisait un gain ; et on comprend sans peine que son éclat ait promptement éclipsé les grâces gothiques de nos genres nationaux.

Il est ensuite à ce succès des raisons intérieures et morales. Ce n’est pas tout que le mérite de la forme, même en poésie, et l’idée a, elle aussi, sa vertu. Pour apprécier la vitalité d’un genre, encore faut-il regarder à son contenu. Si les poètes de la Pléiade se montrent si impitoyables à nos vieux genres, c’est en partie parce qu’ils ne leur pardonnent pas d’avoir servi à exprimer tant de fadaises et de niaiseries Ils pouvaient convenir aux poètes courtisans et ignorans qui prenaient dans les menus faits de la vie quotidienne la matière d’une poésie à ras de terre. Comment suffiraient-ils au poète nouveau dont ils conçoivent avec tant de sérieux et célèbrent avec un respect si religieux le labeur patient et la studieuse ardeur ? Or le sonnet avait trouvé sa place dans la Vita nuova de Dante et dans le Canzoniere de Pétrarque. Il arrivait tout chargé de la pensée, tout imprégné de la sensibilité de ces grands hommes. Il en avait reçu une autorité et