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prêter à sa discipline ; et quelques-uns se sont si exclusivement épris de lui qu’ils lui ont consacré tout leur talent. Tel sonnet a fait la fortune de son auteur et tel autre a fait sa gloire. Où sont ceux qui ont lu les quatre chants de la Franciade ? où ceux qui ne savent pas par cœur le sonnet à Hélène ? Il suffit de la réussite d’une fois. Soyez l’heureux auteur d’un chef-d’œuvre unique, — celui qui l’a peut-être fait exprès, mais qui n’a pas recommencé, — votre célébrité est assurée ; à peine est-ce si elle fera un peu sourire. Aussi est-il singulier que personne n’ait encore été tenté d’écrire l’histoire de ce genre privilégié : les monographies superficielles de Charles Asselineau ou d’Alfred Delvau ne servaient que de prétexte à offrir aux dilettanti un choix de sonnets. Il est fâcheux surtout que cette histoire reste tout entière à écrire après l’Histoire du Sonnet en France[1] qui a valu à M. Max Jasinski le titre de docteur en Sorbonne. Travail de patience, si l’on veut, cette sèche nomenclature n’apporte sur le sujet aucun aperçu nouveau et n’en laisse pas même entrevoir l’intérêt. Comment le sonnet a-t-il pénétré en France, d’où vient qu’il ait triomphé des genres rivaux, quelles ont été les conséquences de son succès au point de vue du développement général de notre poésie, à quoi tiennent sa progressive déchéance et sa longue éclipse, quelles circonstances ont favorisé son renouveau et peut-on de ses fortunes diverses dégager quelque loi ? Autant de questions que l’auteur a effleurées d’un air de n’en pas soupçonner l’importance.

Nos anciens théoriciens tenaient que le sonnet est français, étant provençal ; vous n’en eussiez pas fait démordre le vieux Colletet, auteur d’un traité sur la matière. Il n’est plus guère possible aujourd’hui de contester qu’il ne soit venu d’Italie ; en tout cas, lorsqu’il apparaît en France et commence d’entrer dans l’histoire de notre littérature, il a déjà trois siècles de vie italienne. Sainte-Beuve était plus près de la vérité quand il faisait honneur à Du Bellay de l’avoir apporté de Florence. Toutefois ce n’est encore là qu’une demi-vérité, et l’historien est obligé de préciser en la rectifiant l’assertion du critique-poète. Du Bellay par l’ardeur avec laquelle il a préconisé l’emploi du sonnet et surtout par la maîtrise avec laquelle il a su lui-même le traiter, s’est acquis sur le genre des droits exclusifs : il en a fait sa

  1. Histoire du Sonnet en France, par Max Jasinski, 1 vol. in-8, Douai, Brugère et Dalsheimer. — Le Sonnet en Italie et en France au XVIe siècle. Essai de bibliographie comparée par Hugues Vaganay, 1 vol. in-8, Lyon (Bibliothèque des Facultés catholiques). Cf. Chamard, Joachim du Bellay. — J. Vianey, La Part de l’imitation dans les Regrets (Annales de la Faculté de Bordeaux).