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voici italianisés dans le XIVe siècle. Giotto ne les avait pas connus ; Girard d’Orléans, et, avant lui, cent autres les employaient couramment. Et ils sont si bien nôtres que, plus de soixante ans avant la naissance de Taddeo Gaddi, Villard de Honnecourt, un architecte picard, les note dans son cahier de croquis. Ce sont de ces riens, une forme de nimbe, une forme de croix, un meuble, une coiffure qui nous apportent le renseignement précis dans la répartition des influences réciproques. Le Français qui peignit en 1359 le portrait de Jean le Bon, aujourd’hui encore conservé à la Bibliothèque nationale, était en avance de liberté et d’audace sur tous ses contemporains. Il parlait le langage des primitifs en des expressions vibrantes et brutales certes, mais d’une justesse de ton à peine croyable.


III

Notre exposition viendra-t-elle mettre en relief ces précisions ? le pourra-t-elle ? Saurons-nous, en réalité, montrer de ces véritables primitifs français ? Car le programme, limité aux dates extrêmes 1350-1589, remonte à une époque reculée, même pour l’Italie. De peinture flamande ni de peinture allemande, il n’est sérieusement question encore ; les archives de ces pays sont muettes sur les artistes, alors que chez nous leur nom se trouve à chaque folio des registres royaux. Le livre de M. Richard sur la comtesse Mahaut d’Artois, travail d’une singulière portée, nous fait surprendre, au Nord de Paris, toute une colonie de peintres venus de l’Ile-de-France, et transportés aux limites de la Flandre, à Hesdin, en Artois. Là, se montre Etienne d’Auxerre, un homme dont le renom n’est pas négligeable, et que le roi Philippe le Bel a envoyé à Rome pour ses besognes, lorsque l’illustre Giotto touchait à ses dix-neuf ans. Il eût été imprudent de rapprocher de ces noms certaines œuvres retrouvées et qui leur paraissent contemporaines. L’exposition ne l’a pas voulu faire ; elle a craint d’offrir aux visiteurs, mal préparés à cette étude, la franchise un peu rude de ces très vieux maîtres. Il reste d’eux cependant une châsse à Albi, une autre à Noyon, un Calvaire au Musée de Cluny ; on en connaît de nombreuses fresques. Des reproductions en donneront l’idée, mais la démonstration d’origine, établie par ce moyen, ne sera point exagérée dans le nombre.