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l’enseignement graphique. Enfin, la preuve qu’il y en a, c’est que les registres de l’impôt les nomment, qu’on en voit plus de quarante à de certaines dates, assez haut parvenus pour tenir un rang bien supérieur à celui des enlumineurs de livres. Seule leur modestie est cause de l’oubli où ils sont tombés ; eussent-ils, à la mode italienne, inscrit leur nom sur des prédelles, et noté la date de leur œuvre, nous les pourrions peut-être reconnaître dans leur exil en des musées très lointains. Faute de cette gloriole innocente, les voici perdus pour nous, à jamais.

J’abrège ici des idées qui sont le résultat de recherches longues, de comparaisons, de confrontations incessantes. Ecole de l’Ile-de-France va paraître un terme plus audacieux encore que celui de Primitifs français. J’oserai pourtant dire que cette école possède des peintres travaillant sur panneaux de bois, cent ans avant que Giotto naisse. Ces artisans modestes, mais déjà très affranchis de la tyrannie byzantine des monastères, auront bien vite leurs statuts de corporation, leur technique, et celle-ci nous sera révélée au milieu du XIIIe siècle dans le livre des métiers d’Etienne Boileau. Ce sont des peintres-selliers, soit ! mais entendons bien ce terme de sellier. C’est l’artisan qui fabrique les selles, les meubles, qui prépare le bois des châsses, le revêt d’une toile, sur laquelle il applique de For. Sur cet or, il peint des histoires ou des décorations à l’œuf. Entre la châsse de Noyon, encore aujourd’hui conservée, et un tableau sur bois, la nuance est imperceptible. Les figures, qui y ont été mises au temps où vivait Cimabué, sont en singulière avance sur ce médiocre Byzantin ; elles montrent plus de dextérité et plus d’esprit. Toutefois à part cette œuvre, et une autre rencontrée à Albi, à part de rares vestiges, hier encore, donnés en bloc « aux écoles d’Italie, » à cause de l’or de leurs fonds, la plupart de ces travaux ont disparu. Leur fragilité même, le bois de noyer sur lequel on les exécutait, les cirons, les moisissures, et surtout, chose pire, le peu d’intérêt qu’on leur accorda dans les siècles suivans, ont précipité leur ruine. Le « vieil cadre de boys bien antique » des anciens inventaires est l’annonce d’une prochaine destruction ; s’il est usé on le jette au feu. Parfois on le donne, et de mains en mains, il voyage, jusqu’en Italie quelquefois, comme cette admirable Adoration des Mages de la collection Carrand à Florence, due à quelque Parisien inconnu.

Le fait de ne pouvoir plus montrer en France de trésors