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thésaurisante de son officier, il amasse, il compile. Mais, en dépit des lettres fort aimables de la marquise de Sévigné, je ne croirais pas que celle-ci jugeât son correspondant un cerveau très solide, ni que « l’aimable Coulanges » ne s’amusât point de l’étrange passion du bonhomme. Le but que poursuit Gaignières, — la volonté qu’il a de réunir les élémens authentiques d’une histoire des usages et des mœurs chez les vieux Français, — échappe à la majeure partie de ses contemporains. Lorsqu’il écrit gravement, au bas de portraits acquis par lui à grands frais, et qui semblent si étrangement bouffons, le nom de peintres tels que Jehan Fouquet, Corneille, Janet, il n’a, pour le comprendre, que de rares bénédictins, ou d’audacieux correspondans de province. Entre Notre-Dame, la Sainte-Chapelle et la récente église des Jésuites de la rue Saint-Antoine, les opinions générales n’hésitent guère ; elles hésitent bien moins encore entre Fouquet et Lebrun, Janet et Mignard. Pourtant le nom de Clouet, dit Janet a survécu ; on le cite volontiers en lui accordant, sans nulle limite de temps, tous les portraits de façon antique compris entre Louis XI et Henri IV.

Les anciens artistes français avaient, sur leurs émules italiens ou flamands, une infériorité capitale ; ils manquaient d’un historien. Alors que ceux-là avaient été célébrés par Vasari sur un mode louangeur, que ceux-ci avaient trouvé en Karl van Mander un chroniqueur crédule, adaptant à sa littérature modeste les récits les plus mirifiques des sacristains de la Flandre, personne chez nous ne nommait Fouquet, Perréal ou Bourdichon. Il arriva que, le « bon Monsieur de Gaignières » étant mort en 1711, laissant au Roi toutes ses collections, on n’imagina rien de mieux que de faire disparaître au plus tôt les peintures médiocres de son cabinet. Un peintre célèbre fut chargé d’inventorier les tableaux de sa galerie, laquelle pourtant comptait un Van Dyck, un Van Schuppen et quelques œuvres contemporaines : le tout fut mis à l’encan au nom du Roi bénéficiaire, et les prix atteints furent dérisoires. Telles œuvres, retrouvées de nos jours et acquises pour des sommes énormes, se donnèrent, par lots, à quelques sols le tas. Il ne pouvait guère en être autrement, car c’était le moment précis où les riches, entraînés par un enseignement et une littérature composites, ne goûtaient qu’une forme en art, le sublime en perruque joint à l’extravagance des Bolonais. De temps à autre, une des épaves du cabinet