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L’EXPOSITION
DES
PRIMITIFS FRANÇAIS


I

Il y aurait pour le lettré d’aujourd’hui, incliné vers l’érudition et l’archéologie, un intérêt tout particulier à relire dans les auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles les opinions courantes sur notre ancienne école de peinture : c’est le dédain ou le systématique oubli de la part des gens les plus qualifiés. Il suffit alors à ceux qui se nomment volontiers des « curieux, » à ceux aussi dont la profession est d’écrire sur les Arts, que les Italiens soient venus projeter leur éclatante lumière sur le monde, et ces Italiens ne commencent guère qu’à Raphaël. Tous les Gothiques du Nord, les très vieux artistes, architectes, peintres ou sculpteurs, sont impitoyablement proscrits ; on les traite de naïfs et sauvages dérivés de l’art antique ; leurs « magots » difformes sont attribués en bloc à l’Allemagne ou à la Hollande. Quelques personnages inattendus, un peu singuliers, — tels Roger de Gaignières, ou Peiresc, — s’ingénient à recueillir les œuvres nationales dédaignées. Leur innocente manie fait sourire. Lorsque Mme de Montespan demanda au premier de ces « originaux » un recueil de modes anciennes tiré de ses albums, on voulut voir en ceci le caprice d’une jolie femme inoccupée. Pour le monde d’alors qui sait et qui pense, M. de Gaignières joue à un petit jeu très innocent, et n’est qu’un brave homme très fol. Il est gouverneur de la ville de Joinville, — mais si peu ! — pour Mlle de Guise ; il habite l’hôtel de la Princesse au Marais ; il recueille tout ce que la bonne dame abandonne à la passion