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5 000 îles, aux côtes si découpées, est peut-être le pays du monde où les pêcheurs forment la plus forte proportion du nombre des habitans. Ces pêcheurs n’ont jamais craint de s’écarter de leurs côtes quand il leur a été permis de le faire. Au cours des longues guerres civiles du Japon, beaucoup s’étaient transformés en pirates qui s’en allaient piller les côtes de Chine et de Corée. La terreur qu’ils inspiraient leur a survécu à travers les siècles ; et aujourd’hui encore sur certaines côtes de Chine les mères menacent, paraît-il, leurs enfans, qui ne veulent pas dormir ; de la venue des Japonais[1]. Au XVIe siècle, ils ne s’étaient pas mis avec moins d’ardeur à la construction des navires qu’à la fabrication des armes ; leurs vaisseaux commençaient de sillonner les mers d’Extrême-Orient, et l’un d’eux était même allé jusqu’au Mexique, lorsque au commencement du XVIIe siècle les premiers Shogouns Tokugawa, poursuivant leur idéal de rigoureux isolement, interdirent aux Japonais, sous peine de mort, de sortir de leur pays, et même de construire des navires à l’européenne : la marine japonaise fut ainsi réduite aux vieilles et peu commodes jonques chinoises. Par un des violens retours habituels en ce pays, deux cent cinquante ans plus tard, le gouvernement du Mikado, à peine restauré, interdisait à son tour de construire des jonques de plus de 500 kokou, — c’est-à-dire de 90 mètres cubes de capacité, — encourageait par des subventions l’achat de navires européens et donnait des primes à leur construction. Ainsi le Japon s’est constitué une marine marchande, qui joue un très grand rôle dans les mers de Chine et envoie ses paquebots en services réguliers jusqu’à Marseille et à Anvers, à Brisbane et à Sydney, à Vancouver et à San Francisco. Il n’a pas tardé davantage à se constituer une marine militaire.

La France a joué un grand rôle dans l’organisation de la marine, comme de l’armée japonaise. En même temps qu’il faisait venir une mission militaire française, l’ancien gouvernement shogounal avait appelé d’abord, en 1867, une mission maritime anglaise, qui ne resta que peu de mois dans le pays et le quitta au moment de la révolution de 1868. En 1873, le gouvernement du Mikado s’adressa de nouveau à l’Angleterre et une mission de 30 officiers et marins britanniques demeura six ans au Japon ;

  1. Le fait est rapporté dans l’un des meilleurs et plus complets ouvrages qu’aient été publiés sur le Japon, celui du professeur allemand J.-J. Rein, traduction anglaise, t. Ier, p. 259.