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les appeler. Il a été question de colonisation japonaise sur une grande échelle, avec de vastes concessions de terres, au Mexique, au Brésil ; mais ces contrées sont bien lointaines ; les Japonais n’y seraient jamais qu’un élément secondaire, ils y travailleraient en définitive pour la grandeur d’autrui ; et nulle nation au monde n’est moins disposée à s’appliquer le sic vos non vobis.

Ce que désire le Japon, comme les puissances européennes, ce sont des colonies à lui, où les Japonais aillent s’établir en restant sujets du Mikado ; mais toutes les terres du Pacifique ne sont-elles pas occupées ? Il avait songé aux îles Hawaï, où les Japonais, appelés pour cultiver la canne à sucre, forment l’élément le plus important d’une des populations les plus bigarrées qui soient : 58 000 habitans sur 154 000 ; mais l’archipel est bien petit et les États-Unis l’ont annexé en 1898, de même que les Philippines, autrement vastes et attrayantes. Qu’on ait aussi, à Tokio, jeté les yeux sur d’autres colonies européennes, sur l’Indo-Chine française, sur les Indes néerlandaises, ce n’est guère douteux ; mais notre Indo-Chine est bien peuplée déjà ; mais les îles de la Sonde, dont certaines le sont fort peu, comme Bornéo, comme Célèbes, sont des terres tout à fait équatoriales. Pourquoi d’ailleurs chercher si loin, lorsqu’on a sous la main, pour ainsi dire, une terre merveilleusement appropriée à ce but, une terre où l’action du Japon s’est exercée pour la première fois dès l’aurore de son histoire, il y a seize ou dix-huit siècles, et qu’il n’a cessé depuis de convoiter, une terre ou un grand nombre de Japonais sont déjà installés, où ils ont établi leur hégémonie économique, et dans une grande partie de laquelle ils retrouvent le même climat, les mêmes conditions de vie, les mêmes possibilités de cultures que dans leur propre pays ?

Cette terre, c’est la Corée, que le continent asiatique projette au-devant du Japon, et qui n’en est séparée que par un mince détroit de deux cents kilomètres, au milieu duquel l’île, déjà japonaise, de Tsoushima est comme la pile d’un pont. Nous n’avons pas à faire à nos lecteurs la description de la Corée ; ils la connaissent déjà[1]. Sans doute, le Nord en est déjà bien froid, au moins aussi froid qu’Yezo, elle est montagneuse aussi, et elle compte déjà sur ses 220 000 kilomètres carrés un nombre d’habitans qu’on estime fort diversement entre 5 et 15 millions ;

  1. Voyez dans la Revue du 1er février 1901, l’étude de M. Villetard de Laguérie sur la Corée.