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vaches et veaux, vingt-cinq millions de moutons et de chèvres, sept millions de porcs, nous disent les dernières enquêtes agricoles ; le Japon a dix fois moins de bœufs, dix fois moins de porcs et point de moutons du tout, mais seulement des volailles : la rareté des animaux est un des traits qui frappent le plus quand on parcourt les campagnes.

On comprend que les Japonais aient peine à vivre en leur pays, si sobre que soit leur régime végétarien et si perfectionnée leur agriculture. Elle l’est, certes, au plus haut point. On ne laisse guère chômer la terre ; sitôt le riz coupé en novembre, on retourne le sol des rizières, on en exhausse une partie avec de la terre prise dans le reste, et l’on y sème de l’orge, des céréales diverses, des sortes de grands navets appelés daïkons, des plantes maraîchères diverses, qui ont le temps de donner une récolte avant qu’on repique le riz au printemps suivant. Fumés avec de l’engrais de poisson ou de l’engrais humain, — les habitans des villes vendent le leur comme on vend en France le fumier de ses chevaux, — les champs donnent ainsi indéfiniment de bonnes récoltes. Ce n’est plus de l’agriculture, c’est du jardinage, tellement le travail de la terre est intensif. L’étendue moyenne des exploitations est du reste minime : moins d’un hectare, d’après une enquête faite il y a quelques années, et la grande propriété est rare. Quant à la sobriété des Japonais, à l’extrême économie avec laquelle vivent même des gens d’une condition un peu supérieure à celle d’un simple paysan, voici qui permettra d’en juger : pendant mon séjour au Japon, à la fin de 1897, une revue spécialement consacrée aux questions d’enseignement évaluait à 28 fr. 33 par mois, dont 17 fr. 50 pour la nourriture, les dépenses de la famille d’un instituteur de la province de Rikouzen, dans le nord de l’île de Niphon, famille composée du mari, de la femme, et d’un enfant de six à sept ans. En y joignant 37 fr. 50 par an pour l’achat de vêtemens, c’était, pour ces trois personnes, un total de 377 fr. 50 par an[1]. Encore le riz était-il fort cher à ce moment, à la suite d’une très mauvaise récolte.

Les grâces extérieures, la scrupuleuse propreté qui est l’une des plus grandes qualités japonaises, ne doivent pas faire illusion sur le fond des choses ; la vie est rude, la concurrence est

  1. Voici le détail de ce tableau, tel que je l’ai trouvé dans le Japan Times, journal rédigé en anglais par des Japonais, et qui avait, du reste, des attaches officieuses. Les valeurs sont en yen, le yen valant 2 fr. 55.
    3 to (1 to = 18 litres) de riz de 3e qualité. Yen 4, 60
    Légumes et poissons 1,50
    Location de literie (couverture, etc.) 1,50
    Loyer d’une maison 0, 80
    Éclairage et chauffage 0, 75
    3 sho (1 sho 1 litre 8) de soy (sauce) de 2e qualité 0, 42
    Thé 0, 30
    Objets nécessaires pour écrire 0, 30
    Éducation de l’enfant 0, 20
    Bains tous les trois jours 0, 20
    Impôt sur le logement 0, 15
    Chaussures 0, 15
    Divers 0, 40
    Total, yen 11,33