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Dans la majestueuse âpreté du décor,
Agrestement nimbés d’une poussière d’or,
Dispersés quelquefois par de brusques paniques ;

Tels passent les brebis pesantes, les légers
Agneaux, les vieux béliers aux colères cyniques
Qu’effarent la stature et les cris des bergers.


UN AÏEUL


Un soleil épuisé des mornes soirs d’hiver
S’abîme, acteur sanglant de quelque tragédie ;
Et la pourpre, embrasant tout le ciel, incendie
La forêt, que parfois effleure un souffle amer.

Comme l’Astre, accablé par des tâches sans nombre
Un très vieux laboureur prêt à sombrer aussi
Au fleuve légendaire et sans trêve grossi,
Grêle, sur l’horizon rouge érige son ombre.

Les bœufs qu’il aiguillonne arrêtés un instant,
Les naseaux frémissans, le mufle blanc d’écume,
Et comme enveloppés d’une vapeur qui fume,
Rêvent, tandis qu’au large une rumeur s’entend.

L’homme a dans le regard le vide de l’espace
Qu’il voit, depuis l’enfance, impassible et muet,
Comme si nulle ivresse en lui ne remuait
Devant tout ce qui germe, éclôt, décline et passe.

C’est, par l’inquiétude éternelle hanté,
Un de ces paysans à la face terreuse
Dont l’austère visage, ainsi qu’un champ, se creuse,
Sillonné par l’angoisse et par l’anxiété.

Jusqu’au bout il conduit le soc héréditaire
Que jadis lui légua sa race, et l’on croirait
Que, tel un sphinx, il garde un antique secret,
Un secret que sa bouche à jamais devra taire.