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FENAISON


L’œuvre des faulx est faite et l’immense prairie
Semble rase. Le sol, que jonche le foin mûr,
Savoure éperdument les caresses d’azur
Qui frôlent sa parure à peine défleurie.

C’est le soir. La lumière aux ombres se marie,
Les faucheurs pour rentrer tournent l’angle du mur,
Et bientôt un arôme épars en l’air obscur
S’exhalera de l’herbe odorante et flétrie.

Ainsi marche le temps coupant sur son chemin
Nos rêves d’aujourd’hui que flétrira demain,
Car la chimère morte est d’une autre suivie ;

Mais la nuit est si vaste à nos regards bornés
Qu’il faut que les bonheurs eux-mêmes soient fanés
Pour que le souvenir en parfume la vie.


L’HEURE TORRIDE


Tout l’océan des blés frissonne, roule, ondoie,
Se courbe, se relève aux baisers chauds du vent,
Et gonfle à l’infini, qu’il fait souple et mouvant,
Ses houles de splendeur, d’opulence et de joie.

L’air embrasé creusant des remous spacieux
A laissé par endroits dans la moisson trop mûre
Un sillage, et le souffle estival y murmure.
La torpeur d’un midi brûlant tombe des cieux.

Les ondulations se prolongent au large,
Font amplement frémir les épis lourds de grains
Dont l’innombrable peuple aux rythmes souverains
Envahit l’horizon majestueux qu’il charge.