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J’évoque, imaginant son passé douloureux,
Le séculaire effort de cette épique race,
Que n’abat nul labeur, que nul faix ne harasse,
Et que grandit l’épreuve à la taille des preux.

Je songe aux défricheurs de lande et de broussaille
Qu’à l’horizon choisi rien ne put arracher,
Qui s’unirent jadis autour de ce clocher,
Et de qui l’âme encor dans la cloche tressaille.

Et je voudrais parfois en un rêve fervent,
De mes débiles mains dirigeant leur charrue,
Vaincre, comme eux, du sol la résistance accrue,
Et, comme eux, me griser des colères du vent.


VIEUX CHEVAUX


J’aime les vieux chevaux de labour. Il me semble,
Le soir, quand de la tâche ils reviennent ensemble,
Que chaque bloc de glaise à leurs sabots resté
Mêle une gloire à leur rustique majesté.
Leur regard est plus terne et leur marche plus lasse ;
Mais, si l’ancienne ardeur aux ans lourds a fait place,
Ils rentrent de leur pas tranquille et régulier,
Le col roide élargi par l’ampleur du collier,
La croupe et le poitrail massifs, flairant la crèche
Et le tiède repos sur la litière fraîche,
On les sent prêts encore aux efforts vigoureux,
Et ce retour est comme un triomphe pour eux.
Parfois pourtant leur tête à la rude crinière
S’incline vers le sol, pensive et prisonnière,
Afin d’en aspirer les effluves subtils.
Peut-être alors les vieux serviteurs songent-ils
A la prochaine étreinte, à l’étreinte sacrée
De la terre qu’ils ont si longtemps labourée.