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Déjà, depuis quelque temps, les sentimens d’hostilité n’étaient plus comprimés par l’impression fatale d’écrasement qu’avait imposée le régime, à l’heure de ses succès foudroyans. L’incertitude du lendemain, le sentiment d’insécurité, ont constitué, même en France, même à l’apogée, la véritable faiblesse de l’édifice impérial. En Allemagne, ce sentiment paralysait partout, et le développement des créations impériales, et le mouvement de sympathie ou d’adhésion qui les eût fortifiées. Dans le perpétuel effarement des remaniemens territoriaux ou personnels, l’esprit lent des Allemands perdait son assiette. Il était impuissant à suivre l’allure vertigineuse de la pensée napoléonienne. L’on ne pensait pas à reconstituer le passé ; mais le présent était tellement mobile que nul ne songeait à s’y attacher. Chacun était occupé à prévoir, à deviner le remaniement du lendemain.

Le royaume de Westphalie avait été créé en 1808, doublé, au milieu de 1810, par l’attribution du Hanovre, amputé, à la fin de 1810, d’un tiers de son territoire transformé en départemens français.

Le grand-duché de Berg avait à peine eu le temps de s’accoutumer à la représentation bruyante de Murat, qu’il avait été attribué au jeune fils du roi de Hollande.

A Francfort, les bruits qui circulaient, annexaient la ville, un jour au royaume de Westphalie, le lendemain à la France, plus tard au nouveau royaume napoléonien dont on annonçait la création.

Les fonctionnaires les plus assis du régime, — Beugnot dans le grand-duché de Berg, Dalberg dans le grand-duché de Francfort, — avaient eu cinq années, entre 1808 et 1813, pour assimiler leurs administrés.

Et puis, vers 1813, l’exploitation de l’Allemagne pour les fins exclusives de la domination napoléonienne avait dépassé toute mesure. Les charges de l’impôt et de la conscription croissaient sans cesse. On voyait, dans les départemens mêmes de la rive gauche du Rhin, aux jours où les conscrits quittaient leurs villages, les familles suivre le cortège avec l’impression morne d’une séparation définitive, comme elles eussent suivi un cortège funèbre. Les exigences financières de l’Empereur, le poids d’une large occupation, désorganisaient partout les budgets des États vassaux ; la distribution à jet continu des domaines européens aux maréchaux et fonctionnaires français, dépeçait le