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que le maréchal français le traitait un peu légèrement pour un prince royal. Napoléon, qui le surveillait, avait dit de lui : « Qu’il prenne garde à lui, je le ferai fusiller. » A la fin de l’année 1813, il accentuait ses réserves, et tandis que le premier ministre, Montgelas, sentant chanceler l’édifice napoléonien, préparait son évolution et cherchait à se rapprocher du prince royal, celui-ci se dérobait aux avances du ministre, se faisait le porte-paroles du mécontentement public, et répondait sèchement : « Tous les sujets, même les anciens Bavarois, sont las de cette guerre, mécontens du gouvernement. »

Il avait obtenu de son père, au printemps de 1813, l’engagement de ne pas laisser sortir les troupes du royaume.

Le prince royal de Wurtemberg avait une situation analogue, bien qu’il se montrât plus déférent pour le roi, plus soumis à l’autorité paternelle.

Il commandait, en 1812, le contingent wurtembergeois de la Grande Armée. Napoléon, au début de la campagne de Russie, lui avait fait payer, par une incartade brutale, le mauvais esprit des officiers de la cavalerie wurtembergeoise dont il le rendait personnellement responsable. Le prince royal écrivait lui-même à son père, en avril 1812, le récit de cette scène orageuse : « Comme je défilais à travers Kowno, à la tête de la division, » dit-il, « je rencontrai l’Empereur, qui se dirigea vers moi à la tête d’une petite escorte. Sans aucune entrée en matière, il me déclara qu’il y avait beaucoup de désordre dans ma division ; qu’il en écrirait à Votre Majesté ; que quelques-uns de mes généraux s’étaient permis de mauvais propos ; qu’il avait grande envie de les faire fusiller ; qu’ils pouvaient, d’ailleurs, s’en aller ; qu’il n’avait plus besoin d’eux. »

Les généraux suspects ne furent pas fusillés, mais ils furent expédiés en Wurtemberg. Le prince royal dut, lui aussi, s’arrêter dès le début des opérations. Il était tombé dangereusement malade. Le contingent wurtembergeois passa sous les ordres directs des maréchaux français ; mais le sentiment de désaffection y persista.

Le roi de Wurtemberg ne l’ignorait pas. Il prenait, pour être renseigné sur l’opinion de ses sujets, le parti le plus sûr : celui de lire lui-même leurs correspondances privées. Il était parfaitement fixé.

Le 9 août 1812, il écrivait à son fils : « Je sais que tu es capable de peser soigneusement tes expressions et les