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Encore Goethe, Hegel, et leurs imitateurs avaient-ils leur excuse : comment se fussent-ils attachés à l’État allemand, puisqu’il n’existait pas ? ou à ce qui en tenait la place, à ces États dispersés qui représentaient la vie politique de l’Allemagne, et dont, sauf un, aucun n’avait la vitalité suffisante pour commander ou pour attirer l’attachement ?

Il n’est pas douteux qu’en 1813 encore, Goethe, Hegel, ont représenté les tendances très générales de l’Allemagne du Sud et de l’Ouest ; tendances assez générales et assez fortes pour que les ouvriers de l’unité nationale, de Stein à Gneisenau, et de Fichte à Arndt, s’y soient irrémédiablement heurtés.

On pourrait presque dire que, dans la première période du régime napoléonien, leur philosophique indifférence, et leur adhésion bonapartiste ont été l’expression même du génie de l’Allemagne.

Les champions de l’unité et du sentiment national, les patriotes, les opposans, n’étaient alors que des isolés et des précurseurs.


VI

Toutefois, les événemens se succédaient avec rapidité. L’Allemagne n’avait pas seulement appris à connaître, sous les nouveaux despotismes d’origine napoléonienne, les bienfaits de l’État moderne. Elle en éprouvait aussi les charges et les sujétions. Et, là où le régime moderne apparaissait pour la première fois sous les espèces de l’Etat napoléonien, ces charges étaient faites pour inspirer quelque malaise d’abord, beaucoup d’éloignement ensuite, aux peuples habitués à vivre sans horizon, mais paisiblement, dans le milieu inorganique des petites souverainetés, dites patriarcales.

Il y a quelque analogie entre les sentimens que l’Allemagne a éprouvés pour la France au début du XIXe siècle et ceux qu’elle avait ressentis pour la Prusse au cours du XVIIIe.

Déjà, tandis qu’elle admirait Frédéric II, l’Allemagne s’était écartée de la Prusse par une sorte de répulsion instinctive. L’organisation rigoureuse et puissante de l’Etat frédéricien avait déjà, plus de cent ans avant l’accomplissement de ses destinées, commencé de lui rendre la Prusse à la fois nécessaire et odieuse.

Les sentimens que lui inspirèrent Napoléon et la France