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Et tandis que le premier ministre de la Bavière traduisait en bon français les sympathies du nouveau royaume pour la France, bien plus loin encore des frontières françaises, tout au cœur de l’Allemagne, la cour de Saxe n’était pas d’allures moins françaises.

Suivons le tableau qu’en trace une Allemande pur sang.

La comtesse Elise de Bernstorff était la femme de l’ambassadeur qui représentait le Danemark à Vienne, et qui devait plus tard devenir ministre des Affaires étrangères en Prusse. Lui-même était plus Allemand que Danois, possesseur de biens nobles en Mecklemburg et y vivant. Se rendant à Vienne, il passe à Dresde avec sa femme en mai 1811 ou 1812. Nous sommes bien loin du Rhin, et cependant, dans cette Cour lointaine, les tendances napoléoniennes aveugles du vieux roi de Saxe, et l’invasion des élémens polonais ont poussé à un degré extraordinaire la pénétration française.

« A la première visite que je fis à la fille de mon ancienne et bonne protectrice, » écrit la comtesse de Bernstorff, « nous rencontrâmes Mme de S… et nous nous heurtâmes à une affectation incroyable d’allures françaises : « Si mon mari ne consent pas à retourner à Paris ; » disait-elle, « je me pends. »

« Il nous fallut dîner chez les S… et nous y rencontrâmes une masse de Polonais, d’une gallomanie éhontée. Je me trouvais mal à l’aise au milieu d’eux. Ils me regardaient avec une curiosité impertinente, et, jeune et inexpérimentée comme je l’étais, je me tirai fort mal de cette situation difficile. Je me tus complètement et j’eus probablement l’air très désagréable. Tout m’indignait, jusqu’au sans-gêne avec lequel tous ces messieurs m’entouraient en me lorgnant. Je me regardai dans la glace, et mon humeur n’y gagna rien. Je ne pus manquer de remarquer qu’avec ma robe de soie brune j’étais trop simplement mise ; l’embarras et la colère m’avaient fait rougir jusqu’à la racine des cheveux. Je me parus à moi-même fort ridicule, et me fis l’effet de Nanette à la cour. Enfin il me fallut entendre la maîtresse de maison dire, en me regardant de travers, à sa fille qui n’avait pas cessé de bavarder : « Mais parle donc, mon enfant, tu sais que je déteste les gens qui ne savent pas causer. » La petite Lulu reprit son sot bavardage français, et, comme on la taquinait sur son amourette avec un Montmorency, elle répondit avec une hardiesse tout à fait anti-germanique : « Oui, il faut bien que j’épouse un