Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces chefs d’Etats, autre chose que des propriétaires jouissant pour eux-mêmes de leur domaine, en usant et en abusant souvent. Quelques petits souverains s’étaient essayés au rôle de chefs d’Etats. Convertis aux théories du XVIIIe siècle sur le despotisme éclairé, dont la formule était : « Tout pour le peuple, rien par le peuple, » ils en avaient tenté l’application sur quelques coins du territoire allemand. Mais encore avaient-ils beaucoup moins l’apparence de remplir le devoir étroit de leur charge, que de se conformer à l’idéal moral de leur siècle, de pratiquer les vertus privées de l’homme sensible et d’obéir aux lois de la raison. Ce fut la domination napoléonienne qui apporta pour la première fois, avec une force de pénétration indiscutable, la réalité tangible de l’idée d’Etat à l’Allemagne presque entière.

Les territoires éloignés, plus inaccessibles matériellement et moralement, de l’Allemagne du Nord n’acceptaient pas cette nouveauté comme un bienfait. Le régime oligarchique y avait encore de solides racines. Mais le reste de l’Allemagne, mieux préparé, était, une fois de plus, pétri par la domination française. Et son esprit même de soumission, de discipline sociale, la portait à se laisser remanier avec une extrême facilité. « Nous avions, » écrit Beugnot, « nous avions successivement introduit les formes françaises. Elles étaient aussi bien comprises et mieux respectées que dans le pays d’où elles étaient venues. »

Il en était ainsi, même dans la plus artificielle des créations napoléoniennes, même dans ce fragile royaume de Westphalie, où les joyeusetés du roi Jérôme faisaient quelque tort à l’œuvre de réorganisation politique et sociale. Et, quatre-vingts ans plus tard, un des empereurs de l’Allemagne nouvelle, Frédéric III, reconnaissait, dans la Prusse de 1890, les traces que la justice et l’administration françaises avaient laissées dans la Hesse, sur le sol de la Westphalie de 1810.

En pays souabe, le roi de Wurtemberg brisait avec violence la résistance d’une oligarchie qui avait tenu tête pendant cent ans à tous ses prédécesseurs. Il assujettissait un clergé protestant, habitué jusqu’alors à la plus entière indépendance. Il supprimait, pour tous ses sujets, la faculté même d’exprimer une opinion sur les affaires publiques. Et, même là, le régime nouveau, le despotisme le plus absolu qu’il fût possible d’imaginer, rencontrait des partisans et des approbateurs.

Malgré la brutalité de l’application et la rigidité maladroite