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ni rose-croix, ni illuminé, ni complice de Bonaparte ; il s’excusa d’avoir été prophète. C’était, disait-il, un pur hasard. Et déjà il se demandait si Bonaparte avait bien toutes les qualités qu’il lui avait prêtées si généreusement. « Je l’ai cru, » écrivait Wieland en 1800, « je le crois encore, et une infinité d’hommes le croient comme moi. »

Ainsi, les événemens du siècle avaient préparé l’action napoléonienne presque aussi bien en Europe et en Allemagne qu’en France. Et, lorsque les premières réalisations succédèrent aux espérances, l’impression fut aussi pénétrante, et peut-être davantage, dans ces milieux séculairement inorganiques que dans le désordre de l’anarchie directoriale.

Dans l’Allemagne du Sud, une abondante littérature populaire habilla la figure de l’Empereur pour cette propagande spéciale, comme Wieland avait commencé à le faire. Elle transforma l’autocrate égoïste en maître bienveillant et bien intentionné, paré de tous les traits qui pouvaient convenir à la sentimentalité de l’Allemagne rhénane.

D’ailleurs, les faits eux-mêmes parlaient plus haut que toute réclame de publicité. Ce sont en réalité les préfets de Napoléon qui ont assimilé la rive gauche du Rhin. Et, dans le reste de l’Allemagne, ce sont les rois, les grands-ducs, les ministres, les agens et les préfets d’origine et d’inspiration napoléoniennes, qui ont installé, — avec le Code civil, les sécularisations, l’abolition des privilèges et de la féodalité, — les idées de la Révolution française.

L’Allemagne demeurait sensible à l’attrait des idées nouvelles. Elle appréciait une œuvre de réorganisation sociale qui s’opposait à l’oppression féodale et oligarchique dont elle subissait presque partout les abus crians. Mais, surtout, ce qui la séduisait plus que les doctrines révolutionnaires sur la souveraineté du peuple, plus encore que les idées d’égalité nivelant une hiérarchie sociale dont les abus la heurtaient, c’était les bénéfices palpables de la centralisation de l’Etat moderne, importés au sein de la décentralisation féodale. C’était là, à vrai dire, l’instrument de propagande le plus puissant dont « disposât le régime napoléonien.

L’Allemand de la fin du XVIIIe siècle, lorsqu’il regardait la fourmilière des chevaliers d’Empire, ou même les chefs des petits États secondaires, avait quelque peine à distinguer, dans