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Lorsque, au début de la campagne d’automne, Napoléon a fait diriger sur Berlin, par Oudinot et par Ney, l’offensive dont la pensée l’obsédait, c’est contre les Saxons que les Prussiens, que les landwehrs de la Marche de Brandebourg, ont défendu la capitale.

Plus tard, après la grande accalmie qui suivit les premières batailles de l’automne, quand Blücher réalisa la pensée audacieuse d’offensive qui le conduisit à Leipzig, il vint arracher le passage de l’Elbe au corps de Bertrand ; et, le soir de la bataille, en parcourant les digues et les vergers de Wartenburg, il contempla, d’un œil morne, les paysans wurtembergeois dont il voyait les corps couchés à la place où ils avaient combattu, en face de ceux des tisserands silésiens qu’il avait lui-même conduits à l’assaut.

La Prusse, elle non plus, n’avait pu se soustraire à l’épreuve ; elle avait été contrainte d’embrigader ses troupes dans l’armée française, de confier ses corps d’armée au commandement des maréchaux français. Elle avait bien dû, elle aussi, renier la nationalité allemande. Elle avait porté la trace du joug qui pliait l’Europe entière sous une main de fer. Sous les ordres de Macdonald, le corps de Yorck avait, en 1812, à l’aile gauche de la Grande Armée, défendu pour le compte des Français la Courlande contre les Russes. Et tous les Prussiens n’étaient point restés là, à mi-chemin de l’exode vers Moscou. Des cadavres de cavaliers prussiens avaient jonché le sol des redoutes de la Moskowa, ou s’étaient raidis, sur la voie douloureuse du retour, sous les neiges de l’hiver russe. Mais la Prusse avait rompu ses chaînes à la première heure ; — ou, du moins, dans le silence et l’inertie du gouvernement, un général prussien, désavoué par son roi, avait brisé violemment le lien qui l’attachait à l’armée française, et associé les troupes prussiennes à l’invasion russe, avant même que celle-ci n’eût atteint la frontière.

Au contraire, les soldats de l’Allemagne napoléonienne n’ont déserté les drapeaux français qu’à la dernière heure, après la défaite.

La guerre de l’indépendance allemande a donc été, pour une large part, la guerre des Allemands, groupés pour la défense de leur nationalité, autour de la forte charpente de l’Etat prussien, contre d’autres Allemands façonnés et maniés par la rude main de l’empereur des Français.