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Aussitôt les cardinaux sortirent de leurs places et vinrent se ranger autour de l’élu. Le cardinal Oreglia, tenant le cérémonial en main, lui dit en latin : « Acceptes-tu l’élection qui vient d’être faite de ta personne en qualité de Pape ? »Le cardinal Sarto était accablé. Il avait les yeux pleins de larmes, des gouttes de sueur perlaient sur ses joues, et il parut près de s’évanouir. Presque tous les cardinaux pleuraient aussi. Après un moment de silence, il répondit d’une voix altérée : « Que ce calice passe loin de moi ! Cependant, que la volonté de Dieu soit faite ! » Ce n’était pas la réponse officielle, et le doyen recommença la question avec une légère nuance d’impatience. Le cardinal Sarto prononça la parole attendue : « J’accepte ! — Comment veux-tu être appelé ? — Confiant dans les suffrages des saints Pontifes qui ont honoré le nom de Pie par leurs vertus et qui ont défendu l’Église avec force et avec douceur, je veux être appelé Pie X. »

Alors les cérémoniaires abaissèrent tous les baldaquins à l’exception de celui de l’élu, et Mgr Riggi, leur chef, donna lecture d’un court procès-verbal de l’élection. Puis le Pape fut conduit à la sacristie pour revêtir le costume pontifical. Trois soutanes blanches, une grande, une moyenne, et une petite, y avaient été préparées. On lui mit la moyenne avec la calotte blanche, le camail et l’étole rouges, et, après quelques minutes, il revint s’asseoir sur le palier de l’autel où son fauteuil remplaçait celui des scrutateurs. Tous les cardinaux vinrent s’agenouiller devant lui pour le premier hommage, ce qu’on appelle officiellement la première adoration, qui consiste à baiser successivement le pied, la main et la joue du nouveau Pape. Il était encore bien ému, et déjà pourtant un paie sourire se mêlait à ses larmes quand il embrassait ses amis. Les visages des cardinaux rayonnaient d’une joie religieuse. Convaincus qu’ils avaient fait le meilleur choix que comportaient les circonstances et que leur élu était celui de l’Esprit saint, ils voyaient des yeux de la foi la colombe mystique se poser sur cette tête blanche qui se résignait avec tant de peine à la triple couronne. Après l’adoration, le cardinal Macchi quitta la chapelle pour aller annoncer le nom de l’élu à la foule immense qui attendait sur la place Saint-Pierre, et il prononça les paroles consacrées : « Je vous annonce une grande joie ; nous avons un Pape, le cardinal Sarto, qui a pris le nom de Pie X. » On savait déjà depuis une demi-heure que l’élection était faite, parce que les bulletins, ayant été brûlés sans addition de