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table préparée à cet effet et en vida le contenu dans un second calice en montrant qu’il ne restait plus rien dans le premier. Il s’assit ensuite entre les deux assesseurs, versa les bulletins sur la patène et les compta pour s’assurer que leur nombre correspondait exactement à celui des votans. Dans l’intervalle, les infirmiers étaient allés très solennellement chercher le vote du cardinal de Compostelle et l’avaient apporté avec les autres. Alors le cardinal Rampolla tira le premier bulletin, le déploya, le montra à ses deux assesseurs et lut à haute voix : Cardinale Gotti ! Ce fut le premier nom qui retentit dans l’enceinte, et ce matin-là on l’entendit dix-sept fois. Le cardinal Rampolla se proclama lui-même vingt-quatre fois sans que rien trahit la moindre émotion dans sa voix. Vinrent ensuite Sarto avec cinq voix, Seratino Vannutelli avec quatre, Oreglia, Capecelatro et Di Pietro avec chacun deux, Agliardi, Ferrata, Richelmy, Portanova, Cassetta et Segna avec chacun une.

Chaque cardinal suivait le dépouillement sur une grande feuille contenant les soixante-deux noms et les pointait au fur et à mesure. Quand ce fut fini, les trois reviseurs vérifièrent en silence les chiffres indiqués, constatèrent qu’ils étaient justes et le premier d’entre eux proclama le résultat définitif.

Après le dépouillement de ce premier scrutin, le cardinal Cavagnis, s’adressant au cardinal doyen, lui dit : « Faut-il préparer l’accesso ? » Le cardinal lui répondit : « Il n’y aura pas d’accesso. On n’en a pas usé au dernier Conclave. C’est un mode de voter compliqué et qui donne lieu à des surprises. » Le cardinal se trompait sur un point, car l’accesso fut employé au Conclave qui élut Léon XIII.

Personne ne dit rien, une partie des assistans n’entendirent pas le dialogue, les autres ne comprirent pas bien de quoi il s’agissait, ceux qui comprirent se turent, et l’accesso fut supprimé. C’est une sorte de ballottage, qui a toujours été pratiqué depuis le xvie siècle après chaque scrutin ordinaire. Il consiste à pouvoir voter dans la même séance non point en faveur du même candidat, mais en faveur d’un des autres cardinaux qui ont eu des voix, même s’ils n’en ont recueilli qu’une seule. Par exemple, le cardinal Rampolla ayant eu vingt-quatre voix, l’accesso permettait à ceux qui n’avaient pas voté pour lui d’abord de lui donner leur suffrage à la fin de la séance, en écrivant sur leur bulletin : Accedo… Rampolla. Ceux qui avaient voté pour lui