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En entendant le nom, le jeune homme eut un soubresaut et s’écria : « Allons-nous-en, ma chère ! C’est Rampolla ! Il paraît que ce franc-maçon dit la messe ! »

Ce n’est vraiment pas la peine de se lever à cinq heures, de se coucher à minuit, de faire une heure de méditation à genoux, de mettre une heure à dire la messe, de s’interdire les distractions les plus innocentes et de mener la vie la plus dure, pour être ainsi jugé ! Le cardinal se fait aimer de ceux qui le connaissent, à force de se faire estimer, mais, en le voyant passer dans les loges de Raphaël, impénétrable, absorbé dans quelque vision mystique et moins communicatif que jamais, un prélat français rappelait le mot de M. Buffet sur le Comte de Paris : « M. le Comte de Paris manque de quelques défauts, qui en France, rendent les prétendans agréables. » Le scrutin montra que l’ancien secrétaire d’Etat avait des partisans dévoués et des adversaires irréconciliables. « Pourquoi, demandait-on une fois à Léon XIII, le cardinal Consalvi n’a-t-il pas eu de voix à la mort de Pie VII, après les grands services qu’il avait rendus à l’Eglise ? » Le Pape répondit : « Consalvi avait trop duré. »


IV

Sous l’ancien régime, il y avait en Europe deux monarchies électives dont l’une s’est perdue et l’autre s’est sauvée par son système électoral : la Pologne et le Saint-Siège. La première a succombé à ses diètes bruyantes et violentes, à ses confédérations armées, à l’anarchie qu’amenait périodiquement la vacance du trône. L’Église, au contraire, a travaillé avec une longue patience à dégager l’élection de son chef de tous les élémens de trouble, a l’entourer d’indépendance et de sécurité, et à remettre le choix dans les mains de l’élite la plus compétente. Elle y a réussi autant que les temps le lui ont permis, et depuis le XVe siècle la transmission du pontificat suprême s’est faite sans trouble et sans menace de schisme. Elle a résolu aussi un petit problème dont les Parlemens de nos jours se sont plus d’une fois occupés : assurer le secret du vote. Il est impossible de savoir autrement que par des déclarations spontanées pour quel candidat a voté tel cardinal. Toutes les affirmations des historiens sur ce point sont frappées de suspicion, car aucune ne peut être contrôlée, les pièces justificatives étant détruites après chaque scrutin et