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promenaient en égrenant leurs rosaires. On ne voyait pas trace des vilaines passions caduques et des défauts dont ce terrible Chateaubriand accuse les « cinquante vieillards » sur lesquels il se plaint de ne pouvoir agir : la bêtise, l’ignorance du siècle, le fanatisme, les haines politiques, la duplicité. Un de ces « vieillards » n’avait pas quarante ans, beaucoup n’atteignaient pas la soixantaine et aucun n’était absolument caduc. La Révolution a passé sur le Sacré-Collège, comme sur toute l’Eglise, comme une tempête qui l’a purifié et une épreuve qui l’a rajeuni, de sorte que, en choisissant parmi les candidats désignés par l’opinion, les électeurs étaient sûrs de choisir entre des hommes d’une vertu supérieure, d’un talent incontesté et d’une expérience acquise dans le maniement des grandes affaires.

Peut-on les appeler des candidats ? Pour un seul des papabili sérieux, il y a eu trace de sollicitation, mais il est si naturel, si légitime qu’un frère recommande son frère, et le mérite du recommandé était si éclatant, que personne ne s’étonna de la chose et ne songea à la blâmer. Quant aux trois cardinaux qui ont obtenu le plus de suffrages, celui qui a été élu a, par deux fois, supplié avec larmes ses collègues de ne pas le nommer, et il a été poussé au trône pontifical comme à un calvaire. Pour les deux autres, on serait tenté de dire qu’ils ont abusé du désintéressement. Le cardinal Gotti a été appelé par un de ses amis le « cardinal de marbre, parce qu’il a du marbre le froid, le poli et la solidité. » Devant sa candidature, il s’est montré de glace.

Comme lui, le cardinal Rampolla n’a pas dit une parole, ni fait un pas, ni inspiré une démarche dans son intérêt personnel. Cet homme, que des insulteurs à gages ont représenté comme dévoré d’ambition et travaillant de longue main à se préparer des créatures et des électeurs en vue du conclave, s’est montré d’une indifférence profonde à son propre succès. Il était dans sa destinée d’être méconnu. Parce qu’il a servi fidèlement le Pape qui a conseillé aux Français d’accepter la République pour en réparer les fautes et en améliorer la législation, il a été accusé de comploter contre la France avec les ennemis de la religion, tandis que ses adversaires lui reprochaient de tout sacrifier à la France. Il y a deux ans, un Français et une Française du meilleur monde, venus à Rome pour leur voyage de noces entraient à Saint-Pierre, un matin, au commencement d’une grande cérémonie. « Quel est, demandèrent-ils à un ecclésiastique, le cardinal qui officie ? »