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de chaque malade. Elle consiste essentiellement à jouer à l’élection pontificale comme joueraient au soldat des enfans qui croiraient que c’est arrivé, que leurs armes sont chargées et qu’ils gagnent de vraies batailles. Parmi ces enfans, il y a des méchans qui frappent dans le dos, en calomniant effrontément, il y a des menteurs qui inventent pour le plaisir, il y a des gourmands qui espèrent attraper un bon morceau ; mais la plupart ne sont que naïfs, vaniteux et bavards, poussés surtout par la manie d’usurper un rôle et de se mêler de ce qui ne les regarde pas. « Moi, disait un Français né au sud de la Loire, je viens pour empocher l’élection du cardinal X… — Mais, monsieur, lui répondait un Romain, songez donc que le Pape ne sera pas nommé par les journalistes, mais par une soixantaine d’électeurs enfermés ensemble et sur lesquels vous n’aurez guère d’action. — On verra, on verra si je n’ai point d’action ! » Et il ressemblait à un d’Artagnan grisé d’encre et brandissant une plume en guise d’épée. Un autre se vantait d’avoir acheté pour quinze cents francs un conclaviste qui lui révélerait tous les secrets du conclave. Tous ces reporters agités voulaient naturellement renseigner les lecteurs des feuilles qui les avaient envoyés et dont la curiosité impatiente exigeait une pâture quotidienne. Il leur fallait donc interviewer les personnages en vue, écouter aux portes, décrire les candidats, discuter les candidatures et trouver des nouvelles même quand il n’y en avait pas. Ce que le télégraphe et le téléphone envoyèrent alors dans toutes les parties du monde d’assertions fausses, d’imaginations bizarres et d’appréciations partiales, et ce que les journaux en imprimèrent, remplirait des in-folio.

Les cardinaux se réunirent neuf fois en congrégations générales et demeurèrent cinq jours eu conclave. Ils avaient juré le secret le plus absolu sur ce qui se passerait dans leurs assemblées[1] et tous le gardèrent fidèlement jusqu’à l’élection. Il paraît même qu’il y a eu des discussions et des décisions importantes dont le public ne connaît pas encore le premier mot. Il fallait pourtant savoir ce qui se passait derrière les murailles épaisses de la salle consistoriale où ils délibéraient et de la chapelle Sixtine où ils votaient. Les Italiens se montrèrent

  1. A l’exception des choses destinées à une publicité immédiate, comme les dépêches des souverains, la visite des ambassadeurs et la nomination des officiers du Conclave.