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se rattache la recrudescence d’irrédentisme qui se manifeste en Italie. Ces appréhensions sont naturelles, et ce n’est pas seulement depuis que la guerre a éclaté entre le Japon et le Russie que les montagnes des Balkans sont chargées de nuages. Pendant tout l’hiver, on n’a pas cessé de dire que l’insurrection se préparait pour le printemps et qu’on aurait alors beaucoup de peine à l’empêcher d’éclater. Les quelques réformes qu’on a faites, et qu’on a plutôt encore annoncées que faites, n’ont pas modifié l’état des esprits d’une manière bien sensible. Il serait surprenant qu’un orage depuis si longtemps annoncé se dissipât sans que nous entendions quelques roulemens de tonnerre. Mais on croit trop, car cela n’est en rien démontré, que le poids de la Russie cessera de se faire sentir sur les Balkans d’une manière aussi efficace que par le passé, et qu’il y a là un danger de plus. En réalité la Russie, même occupée en Extrême-Orient, peut faire face au danger balkanique. Sa force matérielle en Europe n’a pas diminué ; son action à Constantinople n’a rien perdu de sa force, et toute la question est de savoir si elle conservera assez de liberté d’esprit pour se consacrer à la fois à la double tâche qui lui incombe. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? Sa politique en Orient n’a rien d’improvisé comme en Extrême-Orient. Elle est, depuis quelques années surtout, établie sur des bases qui paraissent solides, et qui ne cesseraient de l’être que si l’Autriche cherchait à profiter des circonstances pour rompre l’accord de 1897 et poursuivre des vues particulières. Mais rien ne le fait croire, et le caractère de l’empereur François-Joseph, sans même parler de son âge et du peu de confiance en son étoile qui est pour lui le résultat des pénibles épreuves de sa vie, sont des garanties sérieuses qu’il ne changera rien à son pacte avec la Russie. Il ne pourrait en être autrement que si des suggestions en sens contraire venaient de Berlin, et cela est peu vraisemblable. L’Empereur allemand a pour politique de ménager les intérêts de la Russie et de soutenir ceux de la Porte ; il s’en est trop bien trouvé jusqu’ici pour y renoncer subitement. Il y a assez de points sombres à l’horizon politique pour ne pas encore en augmenter le nombre. A lire certains journaux, à entendre certaines conversations, l’ébranlement causé par la guerre d’Extrême-Orient pourrait se communiquer à tout et s’étendre partout à la fois. Jamais sans doute la diplomatie n’a eu besoin de plus de vigilance et de sagesse ; mais, en somme, elle n’en manque pas, et l’appréhension de la guerre, qui est sincère au point même de devenir excessive, permet d’espérer que, parmi tant de périls qu’on nous signale, nous