Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

naissance plus formelle de la neutralité de la Chine, de lui donner une garantie plus forte contre les entreprises éventuelles d’une puissance quelconque. Lorsqu’on a appris que la Russie et le Japon étaient eux-mêmes disposés à adhérer à la note américaine, chacun des deux y voyant une précaution utile contre l’autre, il n’y avait plus à balancer. On a demandé quelques explications sur le sens de la note, afin de le mieux préciser, et on y a adhéré.

En voici le texte : on comprendra en le lisant qu’il ait fait naître d’abord une certaine hésitation dans les esprits : « Vous exprimerez, disait M. Hay aux représentans des États-Unis à l’étranger, vous exprimerez au ministre des Affaires étrangères le vif désir du gouvernement des États-Unis que, au cours des opérations militaires commencées entre la Russie et le Japon, la neutralité de la Chine et, par tous les moyens possibles, son entité administrative soient respectées par les deux parties belligérantes ; que le théâtre des hostilités soit localisé et limité autant que possible de manière que tout désordre parmi la population chinoise puisse être évité, que le commerce subisse le moins de pertes et les pacifiques relations du monde le moins de trouble possible. » Évidemment cette note est pleine de bonnes intentions. Que le théâtre de la guerre soit limité et localisé, rien de mieux. Qu’on s’efforce de prévenir tout désordre dans la population chinoise, le soulèvement des Boxeurs a déjà montré quel prix il fallait attacher au succès de cet effort. Que le commerce des neutres et leurs bonnes relations entre eux subissent le moins de trouble possible, tout le monde le souhaite. Mais que signifie le mot d’« entité administrative » si bizarrement accolé à la neutralité de la Chine ? C’est ce qu’on s’est demandé.

Le mot est nouveau dans le langage diplomatique ; il appartient à celui de la métaphysique, et même d’une métaphysique assez profonde. On s’est étonné de le trouver dans une note politique venue de Washington. Ah ! si elle était venue de Berlin, on aurait été moins surpris. Les Allemands sont de grands philosophes ; ils se complaisent dans les expressions abstraites, et en usent volontiers pour exprimer les choses les plus simples : elles deviennent ainsi, paraît-il, plus intelligibles pour eux. Aussi s’est-il trouvé des gens, des lexicographes sans doute, qui, rien qu’en lisant le mot d’« entité » dans la note américaine, ont soutenu que l’inspiration en était partie de Berlin, et nous-même ne savons qu’en penser. Quoi qu’il en soit, avant d’admettre un mot dans un vocabulaire où il n’a pas encore droit de cité, il faut le définir. Nous ne savons pas si les diplomates l’ont fait, mais un