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contre-coup des événemens, et que dès lors elle doit y avoir aussi une politique. Ceux mêmes qui ne s’en rendent pas compte aujourd’hui comprendraient vite, si elle y éprouvait des revers, que la Russie est un Extrême-Orient le champion de l’Europe entière. Mais notre situation à son égard n’est pas celle des autres puissances : nous sommes ses amis et ses alliés, et, à ce titre, nous avons des devoirs plus étroits. Ces devoirs, M. Jaurès ne les méconnaît pas, puisqu’il propose d’y manquer. Les manifestations qui se sont produites dans les groupes du Parlement et dans la presse prouvent que le pays est résolu à les remplir.

Il n’y a rien là d’incompatible avec un autre devoir que nous avons contracté en nous proclamant neutres. Toutes les puissances du monde ont fait de même. Toutes ont compris qu’il était de l’intérêt général de restreindre le plus possible le champ de la guerre, et que c’était même l’intérêt des belligérans. Aussi la neutralité est-elle devenue la loi universelle ; aucune puissance ne l’a répudiée. Il en est une entre toutes chez qui elle était particulièrement désirable, mais aussi particulièrement difficile et aléatoire : c’était la Chine. Il y avait deux partis à Pékin. L’un, qui était pour la neutralité, l’a heureusement emporté. L’autre, poussé par cette haine des étrangers qui est endémique dans tout le continent jaune, était pour la guerre : à ses yeux, comme aux nôtres, la Russie personnifiait l’Europe, et l’occasion lui semblait bonne pour se débarrasser avec l’appui du Japon d’un joug qui lui était insupportable et odieux. Le parti de la guerre a eu le dessous : cependant nous ne voudrions pas jurer de ce qui arriverait, ne fût-ce que dans quelques provinces, si les Japonais avaient quelques brillans succès. La haine qui fermente contre tous les Occidentaux aurait de la peine à se contenir, ou à être contenue : elle ferait une fois de plus explosion. Espérons que rien de tel n’arrivera, et que la Chine, après avoir notifié sa neutralité au monde, sera la première à la respecter. On peut se demander toutefois si elle serait en mesure d’en imposer aussi le respect aux belligérans dans le cas où il conviendrait à l’un d’entre eux d’y porter atteinte. C’est sans doute la question que s’est posée le gouvernement des États-Unis, et qu’il a essayé de résoudre au moyen d’une note communiquée par lui aux puissances. Nous en avons dit un mot il y a quinze jours : elle nous avait paru un peu équivoque. La rédaction n’en était pas claire, et ce qui n’est pas parfaitement clair cause toujours quelque perplexité dans une situation complexe et tendue. Hâtons-nous de dire que tout s’est vile éclairci. Il s’agissait seulement, au moyen d’une recon-