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plus rien, où l’on est capable de tout. Et c’est une scène presque sauvage qui se déroule dans la cour de la maison. Lisa, dont le mari est avec les grévistes, est accourue auprès de son père ; elle précède de peu Luciano et les délégués des ouvriers, qui arrivent la menace à la bouche. Luciano a contribué à les exciter. Pourtant, bien qu’il ait été chassé par son beau-père, il sait qu’une part de la mine finira par revenir à se femme ; et il est bien résolu à la défendre contre ceux qui l’ont trop bien écouté. Il est avec eux, c’est vrai, tant qu’il ne s’agit que de réclamer une meilleure paye ; avec eux, il déblatère contre Rametta, qui tâche de les amadouer en leur rappelant qu’il a travaillé comme eux. Mais il ne va pas au-delà : quand on parle d’incendier la mine, quand une torche s’allume, il change à la minute de ton et d’attitude ; il passe avec toute sa violence du côté des propriétaires. — Il devient même plus énergique, plus « propriétaire » qu’eux :

— Que fais-tu ? crie-t-il à l’ouvrier qui brandit la torche. Es-tu sérieux ?

— Comment, sérieux ? s’exclame l’autre. N’as-tu pas dit toi-même…

— Je t’ai dit de mettre le feu à la mine de ma femme ?

— Ah ! tu tournes casaque, toi aussi, tu trahis tes frères !… Naturellement ! et c’est lui qui leur barrera la route. Il est prêt à tout pour les arrêter. Tandis que le baron, Rametta et leurs amis s’en tiennent aux vaines paroles, lui s’empare d’un fusil, se poste devant la sortie, et gare au premier qui bouge ! Mais le baron lui arrache son arme et le jette dans les bras de Lisa, en lui criant :

— Pense à ta femme !

La réconciliation se fait ainsi, devant l’ennemi commun, dans le rapprochement des intérêts semblables, qui développent les mêmes instincts. Heureusement qu’une sonnerie de trompettes annonce l’arrivée de la troupe, qu’on avait fait appeler et qui tardait.

Ce troisième acte, paraît-il, a moins réussi que les deux autres. Il renferme cependant l’idée sociale que M. Verga a voulu dégager dans son œuvre, et qu’on trouve pittoresquement exprimée par un proverbe (d’origine toscane, si je ne me trompe) que cite un des personnages au cours de la pièce :

« Quand le vilain est sur le figuier, il ne connaît plus ni parent, ni ami. »

Le vilain, c’est Rametta, ancien ouvrier devenu riche, et qui commettrait les pires infamies pour augmenter son bien. Mais c’est aussi Luciano, fils d’un ouvrier mort dans la mine, élevé par les soins du