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obligé de tenir les intérêts. Or, si Rametta s’est implanté dans la mine, c’est avec la ferme intention d’en déposséder le propriétaire. N’a-t-il pas barre sur lui ? Il peut l’affamer quand il voudra en lui coupant le crédit : sans l’argent qu’il continue à avancer, l’exploitation serait vite arrêtée. Justement, les ouvriers s’agitent, réclament une augmentation de salaire, la grève est à la veille d’éclater : le moment est donc favorable. Le baron est allé lui demander de nouveaux subsides. Au lieu d’en apporter, Rametta vient réclamer son dû. Il arrive avec le notaire, un huissier, et ce dilemme : ou un arrangement qui le satisfasse, ou la saisie avec tout ce qui s’ensuit. Et la discussion commence.

La scène est magistrale, mais difficile à résumer, tant elle est pleine de faits et de mouvement, rapide, colorée, énergique. Ne vous figurez pas une discussion d’affaires méthodique, où chacun expose ses raisons en gardant de la tenue, et, quelle que puisse être l’âpreté de ses intérêts, les défend avec correction. Nous sommes dans un pays qui n’est rien moins que « moderne. » L’industrie soufrière, qui est une de ses principales ressources, est restée assujettie à des traditions commerciales hors de cours. J’en donnerai une idée en rappelant qu’il n’y a pas beaucoup d’années, les ouvriers de certaines mines étaient payés en nature et forcés de s’approvisionner à la boutique des patrons ! On crie, on gesticule. Don Rocco, l’intermédiaire, — on sait que ce type de parasite joue un rôle essentiel dans toutes les affaires de l’Italie méridionale, — « sue sa chemise » à expliquer ses bonnes idées désintéressées. On a eu grand’peine à renvoyer quelques ouvriers qui voulaient voir, parce que, dans ce pays de soleil où les portes sont toujours ouvertes, tout devient spectacle gratuit offert au prochain. Enfin, il n’y a plus là, avec les intéressés et le notaire, que don Rocca, la tante Bianca et les deux jeunes filles prêtes à encourager la résistance de leur père. Rametta se pose en victime. Il est entre les mains de ses partenaires « comme Jésus au Jardin des Oliviers ; » il a fait les plus lourds sacrifices pour une ancienne famille qu’il respecte, qu’il aime ; il lui a « donné son sang ; » à présent, il n’en peut plus, « ce qui est juste est juste, » il veut recouvrer son argent, capital et intérêts au 12 et demi pour 100 ! On examine les comptes. On voit bien ce que la mine coûte, et elle a coûté cher, jusqu’à ce qu’elle soit en état. On voit moins ce qu’elle rapporte. Ramalta prétend même qu’elle ne rapporte rien, puisque les frais courent toujours. Et don Rocco a une idée : son cousin ne peut pas donner d’argent, puisqu’il n’en a pas, mais il cédera pour quinze ans la mine à Rametta : au lieu d’être le propriétaire, il n’en sera plus que le