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faudrait beaucoup d’argent. Et Rametta n’en veut risquer que si on la lui donne, toute à lui, en même temps que la fille à son fils. Il ne veut pas l’une sans l’autre : les espérances ne lui suffisent plus ; et si on ne passe pas par ses fourches caudines, il réclamera ses avances, Les invités, consternés, risquent de vagues paroles ; et le baron, cette fois, se révolte : il ne cédera pas, il payera ses dettes, — quand et comment, grand Dieu ! — il payera même le papier timbré qu’avait déjà noirci le notaire, et le rosolio, et les glaces fondues. En attendant, Nina rend la bague de fiançailles et les boucles d’oreilles à Rametta, qui les empoche en promettant de renvoyer à son tour les petits cadeaux que son fils a reçus. Alors, dans l’humiliation de ces marchandages, la jeune fille, — qui sait que tous connaissent le secret de son cœur, et qu’il est devenu celui de tout le monde, s’écrie en éclatant en larmes dans les bras de son père :

« Non, votre fils n’a rien à me rendre… Il ne peut pas me rendre ce que j’ai perdu, ce que j’ai sacrifié pour lui !… Plus que la mine, plus que la richesse, plus que le pain qu’il me donnait !… Beaucoup, beaucoup, beaucoup plus !… Je le dis ici devant tous, sans rougir !… Tous savent ce que j’avais dû m’arracher de là !… J’avais dû prendre mon cœur de force… comme avec ma main… et je l’offrais à votre fils loyalement… honnêtement… en priant Dieu de me faire oublier… de me faire pardonner… par un autre !… »

Le marquis prend Rametta par les épaules et le jette à la porte. Tous s’indignent, pressés de s’en aller. Et don Isidoro éteint les bougies.

Le second acte nous transporte à la mine, dans les bâtimens où les Navarra sont venus s’installer au-dessus des bureaux. Nina tient les comptes et surveille du mieux qu’elle peut un personnel mal payé, mécontent, prêt à toutes les infidélités : c’est une charmante figure dessinée en quelques traits, une de ces femmes qui sont l’âme du foyer, une sœur de cette touchante Maria des Malavoglia, qui travaillait avec tant de patience, résignée à sauver la « maison du néflier. » Lisa, qui est d’une autre étoffe, s’amuse et coquette avec Luciano. C’est un scandale pour la tante Bianca, pour le cousin don Rocco, pour tout le monde : car, si l’on admet qu’une fille qui descend d’Anchise peut se mésallier avec le fils d’un Rametta, dont la fortune est faite, on n’aura pas la même tolérance s’il s’agit d’un pauvre diable de contremaître, qui vit mal d’une paye incertaine. Luciano se trouve d’ailleurs dans la situation la plus ambiguë : il n’est plus aux gages du baron, mais à ceux de Rametta, dont il est