Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/216

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le dernier reste de la fortune ancestrale, l’unique dot de ses deux filles. Elle est sa seule ressource, et ne rend presque plus rien. Les galeries s’effondrent, l’eau l’envahit, les ouvriers y risquent leur vie ; il faudrait des machines et des travaux pour la remettre en état ; ce qui revient à dire qu’il faudrait de l’argent. Et l’on en doit déjà beaucoup à l’usurier Rametta. Si ce terrible homme a délié quelque peu les cordons d’une bourse qu’il n’ouvre qu’à bon escient, c’est parce qu’il sait que la mine n’est pas aussi complètement épuisée qu’on le croit ; et aussi parce qu’il a un fils, pour lequel sa vanité de parvenu guettait la fille du baron. S’il n’y avait pas la mine, l’amorce nobiliaire ne tenterait pas ses appétits, qui sont gros et positifs ; mais les deux ensemble constituent une combinazione qui lui convient. Nina l’a acceptée tristement. Elle a un autre amour au cœur, pour un cousin qui l’aime aussi. Mais il s’agit de relever la famille, si proche de la ruine, de délivrer son père de ses éternels soucis, d’assurer l’avenir de Lisa. Elle s’est résignée, elle a dit oui. Et l’on attend le fiancé, avec son père qui est en retard, ayant été appelé brusquement à la mine.

Les pâtisseries sont là ; le pharmacien envoie le rosolio, — avec la note, qu’on ne paie pas ; — les invités arrivent l’un après l’autre. Voici la tante Bianca, qui n’ouvre la bouche que pour dire ce qu’il ne faudrait pas, sans qu’on puisse démêler sûrement si c’est par sottise ou par malice ; voici le marquis en cravate blanche et la marquise en toilette ; ce sont les parens haut placés, dont on se demande jusqu’à la dernière minute s’ils viendront sanctionner la mésalliance, et qui viennent, importans, condescendans, insupportables. Voici le cousin don Rocco, un peu vulgaire : il possède une petite part de la mine ; il a été la cheville ouvrière du mariage ; il est l’homme-lige de Rametta, qui lui jette de temps en temps quelques petits os à ronger, parce qu’il sert ses intrigues. Un dernier parent, le chevalier, fait son entrée avec ses fils qui ne demandent qu’à se jeter sur les pâtisseries. Le notaire Zummo et le Père Carmelo arrivent ensemble. Mais Rametta, lui, n’arrive pas.

On s’impatiente. Les glaces se changent en sirop. On sert le rosolio. On commence à trouver qu’un retard aussi prolongé est du dernier mauvais goût. On va se fâcher, quand le coup de sonnette, cette fois, annonce Rametta. Il revient tout droit de sa course, fatigué, haletant, en veston, en gros souliers : un nouvel éboulement s’est produit dans la mine, que l’eau envahit. Aussi n’a-t-il pas amené son fils : la mine ne représente plus une dot suffisante, si elle est partagée. Avec beaucoup d’argent, on pourrait peut-être bien encore la restaurer. Mais il