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Cependant la tâche de M. Goschen consistait à rendre la flotte anglaise capable de tenir tête aux flottes combinées de la France, de l’Allemagne et de la Russie, car tel était désormais l’objectif. L’Angleterre ne possédait en grands cuirassés d’escadre que dix-neuf unités de première valeur : les sept Royal Sovereign, les neuf Majestic et trois isolés. Encore deux des Majestic n’étaient-ils pas achevés. Il fallait remédier au plus tôt à cette insuffisance. L’Amirauté y pourvut en créant deux classes nouvelles comportant six cuirassés chacune, la classe des Canopus et celle des Formidable. Avec les deux Majestic en retard, c’était quatorze cuirassés en chantier. Les Canopus ne déplaceraient que 12 950 tonnes contre les 15 140 des Majestic. Les Formidable auraient à peu près le même déplacement que ces derniers (15 000 tonnes). Tous ces bâtimens devaient avoir une vitesse légèrement supérieure à 18 nœuds. La protection était un peu faible relativement au déplacement et à la force offensive. La cuirasse n’était que de 152 millimètres pour les Canopus, de 229 pour les Formidable. Il est vrai qu’un procédé nouveau pour la fabrication des plaques de blindage, découvert par la maison Krupp et constituant un perfectionnement sensible sur le procédé Harvey, permettait de réduire notablement l’épaisseur des cuirasses pour un même degré de résistance aux projectiles. Cette découverte avait été également une cause de retard dans les constructions de 1897. L’Amirauté ne pouvait compter pour son approvisionnement de plaques que sur les deux maisons Brown et Cammell, de Sheffield. L’outillage de ces maisons, bien qu’étendu déjà et amélioré, ne pouvait encore suffire à la demande, et la découverte du procédé Krupp les obligea, ainsi que d’autres usines qui commencèrent à fabriquer des plaques de protection, à établir des installations nouvelles, extrêmement coûteuses.

Où l’Angleterre était déplorablement arriérée, non plus du fait des ouvriers mécaniciens, mais par suite d’une singulière aberration de prévision, c’est à l’égard des croiseurs cuirassés. Elle ne pouvait toujours mettre en ligne que ses Orlando de 1887, et, devant les croiseurs cuirassés déjà en service ou en cours de construction, de la France, de la Russie et des États-Unis, les Orlando ne comptaient pas. L’Amirauté, dès le milieu de 1897, se fit donc autoriser par le Parlement à construire des croiseurs cuirassés. Elle conçut d’abord un type Cressy, comportant six bâtimens de 12 500 tonnes, longs de 136 mètres, ayant