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étrangères. La France, avait, depuis 1875, muni ses bâtimens de pièces en acier se chargeant par la culasse ; en Allemagne, la maison Krupp fabriquait une puissante artillerie ; la Russie, depuis 1877, armait ses navires de canons-culasse fabriqués dans sa propre usine d’Oboukof.

L’Angleterre dépensait pourtant d’assez fortes sommes pour sa marine. Le budget annuel de ce département fut en moyenne de 250 à 300 millions de francs entre 1872 et 1882. Mais le total des crédits était subordonné à des considérations souvent étrangères aux intérêts propres de la marine. Chaque année, quand les prévisions de dépenses passaient de l’Amirauté dans les mains du chancelier de l’Échiquier, elles étaient modifiées selon les convenances du Trésor. Le gouvernement ne considérait point comme la première de ses obligations, d’assurer la pleine efficacité des défenses navales. D’ailleurs, il n’était affecté aux constructions neuves, c’est-à-dire à l’accroissement de la flotte, qu’une fraction assez faible du total des crédits. La plus grosse part couvrait l’entretien du matériel et la solde du personnel.


II

Le long ministère de six années que présida Disraeli, lord Beaconsfield, de 1874 à 1880, avait fondé l’impérialisme britannique. Le cabinet Gladstone fut une protestation contre cette tendance au réveil de l’ancien esprit britannique de domination universelle. L’illustre chef du parti libéral professait une politique de paix au dehors et de réformes à l’intérieur. L’autonomie fut rendue aux Boers sans que la défaite de Majuba eût été vengée. C’est cependant sous ce ministère pacifique qu’eurent lieu l’insurrection d’Egypte et le bombardement d’Alexandrie et que le général Wolseley cueillit les lauriers de Tell-el-Kebir. Mais le premier ministre considérait ces incidens comme secondaires et tenait les yeux obstinément fixés sur l’échiquier électoral. Aussi éprouva-t-il une grande surprise, en 1884, lorsque l’opinion publique se prit soudain à protester contre l’indifférence des gouvernans à l’égard de la marine. L’opinion se propagea, dans la presse et dans les réunions publiques, que les flottes de Sa Majesté n’étaient plus à la hauteur de leur tâche ; que la puissance anglaise, le rang de la nation dans le monde