Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suite ; elles étaient deux chapitres du même évangile. Le Roi avait tout l’air de passer à l’ennemi et de se rallier aux libertins. La cabale fit un effort désespéré et Tartufe fut interdit ; toutefois, personne ne s’imagina que la bataille fût terminée. On entrevoit une agitation extraordinaire autour de Louis XIV dans les semaines qui suivirent les fêtes de Versailles. La Cour était partie directement pour Fontainebleau ; l’été s’y passa à se disputer le jeune monarque.

Celui-ci était tiraillé. Il y avait en Louis XIV un révolté contre les contraintes de la religion, et un catholique politique, soutenant l’Église par maxime d’État, parce qu’il ne pouvait se passer d’elle pour une foule de choses. Ce sont deux façons de penser qui peuvent très bien s’arranger ensemble, et le Roi était en train de s’en aviser. Encore un peu, et la conciliation des deux points de vue sera chose faite dans son esprit. En attendant, il vivait au milieu des scènes et des larmes. Ce fut un été bien troublé.

Tandis que ces événemens tenaient Paris attentif, la pauvre Mademoiselle, oubliée dans son château d’Eu, se rongeait si fort qu’enfin son orgueil fut vaincu : « — Sur la nouvelle de la grossesse de la Reine, disent ses Mémoires, je m’avisai d’écrire, et je songeai : Peut-être le Roi veut-il que je le prie. » Et elle s’abaissa à le prier. Elle exprimait d’abord l’espoir que l’enfant attendu serait un fils : « — J’exagérai de très bonne foi l’envie que j’en avais, et je témoignai la douleur où j’étais d’être si longtemps sans avoir l’honneur de le voir. Je dis tout de mon mieux pour l’obliger à me permettre de retourner. » Elle écrivit en même temps à Colbert, qui passait pour être l’homme influent du ministère :


A Eu, ce 23 mars 1664.

« Monsieur Colbert, en envoyant témoigner au Roi la joie que j’ai de la grossesse de la Reine, j’ose lui demander ses bonnes grâces et la permission de les lui aller demander moi-même. J’espère que vous m’assisterez de vos bons offices pour obtenir un bien si précieux. Je le supplie, si je ne puis y parvenir, de m’accorder celle d’aller faire un tour à Paris avant mai[1], y ayant trois procès considérables pour arriver en ce

  1. Mot douteux.