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leçon de philosophie de la nature, non plus symbolique et voilée, mais claire et directe ; aussi fut-elle parfaitement comprise, les spectatrices en convinrent. La leçon était de Molière, qui avait écrit sa Princesse d’Élide dans le dessein bien arrêté de « célébrer » et de « justifier[1] » les amours du Roi et de La Vallière. On se rappelle le Récit de l’Aurore qui ouvre la pièce :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Dans l’âge où l’on est aimable,
Rien n’est si beau que d’aimer.

Soupirez librement pour un amant fidèle,
Et bravez ceux qui voudraient vous blâmer…

On se rappelle aussi que les cinq actes qui suivent ne sont que le développement, plein d’insistance, de cette invitation aux femmes de la Cour à ne pas mériter « le nom de cruelle. »

Après les affaires sérieuses, on revint aux plaisirs innocens, dont le plus applaudi fut un feu d’artifice qui embrasa « le ciel, la terre et l’eau » parmi un grand fracas de boîtes. Déjà chacun songeait au départ, quand Molière, le lundi 12 mai, donna les trois premiers actes du Tartufe. La connivence du Roi paraît bien établie. Le Père Rapin raconte[2] que « la secte des dévots » s’était rendue tellement insupportable, dès le temps de Mazarin, par ses avis indiscrets, que le Roi, « pour les décrier, les fit jouer quelques années après, sur le théâtre, par Molière. » Les « dévots » avaient vu venir le coup et fait leur possible pour le détourner ; les Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement en font foi[3]. Elles rapportent que l’on « parla fort, » dans la séance du 17 avril, « de travailler à procurer la suppression de la méchante comédie de Tartufe. Chacun se chargea d’en parler à ses amis qui avaient quelque crédit à la Cour pour prévenir sa représentation. » Ils eurent beau faire, Tartufe fut joué. L’assistance devina sans hésitation à qui Molière en avait, et les « dévots » ouïrent avec émotion ce congé dans les formes qui leur était signifié publiquement, moins d’une semaine après que la Princesse d’Élide avait déjà donné son compte à la morale. Au point de vue de la thèse générale, les deux pièces se faisaient

  1. Louise de La Vallière, par J. Lair.
  2. Mémoires sur l’Église et la société de 1644 à 1669.
  3. La Cabale des Dévots, par M. Raoul Allier.