Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allumait des lustres accrochés parmi les feuillages, et la fête continuait pendant la nuit. La musique molle et tendre de Lulli planait sur cette apothéose de l’amour, dont l’héroïne, et c’était un charme de plus, restait confondue dans la foule : Louise de La Vallière n’était, encore ni « reconnue, » ni duchesse.

La première des trois grandes journées de la fête fut toute pour les yeux. Le roi de France et la fleur de ses courtisans, en paladins de Charlemagne habillés et armés « à la grecque, » selon les idées du XVIIe siècle sur la couleur locale, coururent la bague devant une somptueuse assemblée qui poussait « des cris de joie et d’admiration » à l’aspect du maître[1]. Louis XIV recherchait ces exhibitions. Il y brillait, et il leur attribuait une importance sur laquelle il s’explique à son fils dans ses Mémoires : il les croyait très efficaces pour « lier d’affection » avec le souverain « ses peuples et surtout les gens de qualité. » Les peuples ont toujours aimé les spectacles, et, pour la noblesse, plus un roi la tient de court, plus il doit lui montrer que ce n’est pas « aversion, » mais « raison, et devoir simplement. » Rien n’y sert mieux que les carrousels et autres divertissemens de même nature : — « Cette société de plaisirs, qui pionne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu’on ne peut dire. »

Les tenans de la course de bague de 1064 avaient, en effet, été très fiers de l’honneur qui leur était fait. Ils apparurent couverts d’or, d’argent et de pierreries, escortés de pages et de gentilshommes galamment équipés. On vit défiler après eux des chars allégoriques, des personnages de la Fable et des animaux exotiques, Molière en dieu Pan, l’un de ses camarades monté sur un éléphant, un autre sur un chameau. Au souper en plein air qui termina la journée, la table royale fut servie par le corps de ballet, qui vint en dansant et tourbillonnant apporter chacun son plat. Les « chevaliers » de la course de bague, « avec leurs casques couverts de plumes de différentes couleurs et leurs habits de la course, » se tenaient debout derrière les convives. Deux cents masques portant des flambeaux de cire blanche éclairaient cet admirable tableau vivant, digne du grand poète qui l’avait inspiré.

Le lendemain fut employé à donner aux six cents invités une

  1. Pour cette partie, voir la Gazette du 17 mai, les Lettres de Loret des 10 et 17, les diverses Relations du temps, le Molière des Grands écrivains, etc.